Canetti sur l’autodestruction

Cette citation de Canetti renvoie à des situations analogues signalées par Ortega y Gasset et par Cholokhov (voir réflexion attachée).

« Le prophète avait maintenant communiqué le dernier ordre. L’exécution en signifierait les derniers préparatifs pour les Xhosas, après quoi ils seraient dignes de recevoir l’aide d’une armée d’esprits. Ils devaient ne plus laisser en vie une seule bête de leurs troupeaux, et détruire tout le blé de leurs greniers. La perspective d’un avenir magnifique attendait ceux qui obéiraient. Au jour fixé il surgirait de la terre des troupeaux avec des milliers et des milliers de têtes, plus beaux que ceux qu’il avait fallu abattre, et les pâturages en seraient couverts à perte de vue. D’immenses champs de millet mûr et prêt à être consommé sortiraient du sol en un clin d’œil. Ce jour-là, les antiques héros de la tribu, les Grands et les Sages du passé, ressusciteraient et prendraient part aux joies des croyants. Souci et maladie disparaîtraient en même temps que les infirmités de l’âge, jeunesse et beauté seraient partagés par les morts ressuscités et les vivants affaiblis. Mais terrible serait le sort de ceux qui s’opposeraient à la volonté des esprits….. » (p.206)

« Le jour si longtemps attendu était enfin arrivé. Les Xhosas avaient veillé toute la nuit au comble de l’excitation. Ils s’attendaient à voir se lever deux soleils rouge sang sur les collines de l’est ; c’est alors que le ciel s’écroulerait fracassant leurs ennemis. A demi morts de faim ils passèrent la nuit dans une joie sauvage. Enfin, le soleil se leva comme d’habitude, un seul soleil, et leur cœur les abandonna. Ils ne perdirent pas espoir tout de suite ; peut-être avait-on voulu parler du midi de ce jour, quand le soleil serait au zénith ; et comme à midi rien ne se passait, ils mirent leur espoir dans le coucher du soleil. Mais le soleil se coucha, tout était fini. » (p.207)

« L’année 1857 vit la population de la partie britannique du pays xhosa passer de 105 mille à 37 mille âmes : il en avait périt 68 mille. » (p.208)

Source : Elias Canetti, Masse et puissance, Gallimard 2004. Pages 206, 207 et 208.

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