Kundera sur la Litost

Cette notion est à mettre en rapport avec le « démon de midi » et l’acédie des moines du désert du moyen âge et avec l’idée de l’ennui (aburrimiento) comme horreur de soi développée par philosophe chilien Humberto Giannini.

« Litost est un mot tchèque intraduisible en d’autres langues. Sa première syllabe, qui se prononce longue et accentuée, rappelle la plainte d’un chien abandonné. Pour le sens du mot je cherche vainement un équivalent dans d’autres langues, bien que j’aie peine à imaginer que l’on puisse comprendre l’âme humaine sans lui ». (p.199)

« La Listost est un état tourmentant né du spectacle de notre propre misère soudainement découverte ». (p.200)

Source : Milan Kundera, Le livre du rire et de l’oubli, Folio, 2006, pages 199 et 200.

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Vassili Grossman sur la famine en URSS

« A ce moment là, il n’y avait plus ni chats ni chiens. On les avait tous tués. Ce n’était pourtant pas facile de les attraper. Ils avaient peur des hommes, ils vous regardaient avec des yeux sauvages. »

Ces extraits concernent la famine de 1932-1933 en Ukraine qui a fait des millions de victimes. Après la dékoulakisation, des réquisitions massives de blé ont laissé les paysans sans nourriture. Cela corrobore la description faite par Cholokhov concernant la situation à la même époque au Kouban, mais tranche avec ce qu’il a dit sur la dékoulakisation en Ukraine (voir « Cholokhov sur la famine en URSS » et la réflexion correspondante).

Voici des extraits choisis de l’ouvrage ‘Tout passe » de Vassili Grossman :

« On donna aussi l’ordre de saisir tout le fonds de semences. On cherchait partout le grain comme si ce n’était pas du blé mais des bombes,  ou des mitrailleuses. On faisait des trous dans la terre avec des baïonnettes, avec des baguettes de fusil, on creusait le sol des caves, on brisait les planchers, on fouillait les potagers. On cherchait le grain jusque dans les pots et les lessiveuses. (…) comme il n’y avait pas de silos, on déversait le grain à même le sol sous l’oeil vigilant des sentinelles. Le grain avait été trempé par la pluie d’automne. Quand vint l’hiver il était presque pourri. Le pouvoir soviétique n’avait pas assez de bâches pour abriter le blé des moujiks. » (p.950)

« Des pères et des mères voulaient sauver leurs enfants, mettre un peu de grain de côté, on leur disait : « Vous haïssez d’une haine féroce le pays du socialisme, vous voulez faire échouer le plan. Vous n’êtes que des fainéants, des suppôts des koulaks, des reptiles. — Non, nous ne voulons pas faire échouer le plan, nous voulons sauver nos enfant et nous sauver nous-mêmes. » (p.950)

« Vers la Noël, ils ont commencé à tuer leurs bêtes. Mais elles n’avaient plus que la peau et les os. Ils avaient déjà tué leurs poules, naturellement. Ils eurent vite fait de manger cette maigre viande. Il n’y avait plus une goutte de lait. Impossible de trouver le moindre oeuf dans tout leur village. Mais surtout, il n’y avait plus de pain. On leur avait pris leur blé jusqu’au dernier grain. Il ne pouvaient pas semer du blé au printemps : on leur avait pris tout leur fonds de semences ». (p. 951)

« A ce moment là, il n’y avait plus ni chats ni chiens. On les avait tous tués. Ce n’était pourtant pas facile de les attraper. Ils avaient peur des hommes, ils vous regardaient avec des yeux sauvages. On les faisait bouillir, ce n’étaient que nerfs et tendons. De leur tête on extrayait une sorte de gelée. » (p.953)

« Ah oui…Quand ils avaient encore quelques forces ils allaient à travers les champs jusqu’au chemin de fer. Pas à la gare, non, la garde ne les aurait pas laissé s’approcher, mais directement sur la voie ferrée. Et quand passait le rapide Kiev-Odessa, ils se mettaient à genoux et criaient : Du pain, du pain ! Certains tenaient à bout de bras leurs pitoyables enfants et, parfois, les gens leur jetaient des morceaux de pains et des rogatons. Puis le train s’éloignait en grondant (…) Mais ensuite des ordres furent données : quand un train traversait les régions affamées, la garde fermait les fenêtres et abaissait les rideaux ». (p.954)

Source : Vassily Grossman, Tout passe in Oeuvres, Robert Laffont, 2006. Pages 950, 951, 953 et 954.

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Cholokhov sur la Famine en URSS

Dans cette lettre adressée à Staline, Cholokhov s’insurge contre les réquisitions de blé dont étaient victimes les paysans du Kouban en 1933, région alors en pleine famine, résultat de la collectivisation forcée et des désordres qu’elle a enclenchés. Des propos qui rappellent ceux de Grossman sur la famine en Ukraine au même moment (voir citation « Vassili Grossman sur la famine en Ukraine« ). Pourtant Cholokhov semblait adhérer pour ce qui de l’Ukraine à la thèse officielle que la crise était due au sabotage des koulaks, les paysans dit « riches » (voir réflexion sur la citation « Canetti sur l’autodestruction« ).

Voire aussi des extraits de la réponse de Staline, dans la réflexion attachée.

« Camarade Staline ! « Le district Vechenski, comme beaucoup d’autres districts , n’a pas rempli le plan de livraison de céréales non pas à cause de quelque sabotage koulak, mais à cause de la mauvaise direction locale du Parti. (…) En décembre dernier ; le Comité régional du Parti a envoyé, pour « accélérer » la campagne de collecte, un plénipotentiaire,  le camarade Ovtchinnikov (…) qui a pris les mesures suivantes :

1) prendre toutes les céréales disponibles, y compris  » l’avance  » donnée par la direction des kolkhozes aux kolkhoziens pour l’ensemencement de la récolte future,

2) répartir les livraisons dues par chaque kolkhoze à l’Etat par foyer.

Quels ont été les résultats de ces mesures ? Quand ont commencé les réquisitions (…) les paysans se sont mis à cacher et à enterrer le blé. Maintenant, quelques mots sur les résultats chiffrés de toutes ces réquisitions. Céréales « trouvées » : 5930 quintaux. (…) Et voici quelques méthodes employées pour obtenir ces 593 tonnes

  La méthode du froid. (…) On déshabille le kolkhozien et on le met « au froid « , tout nu, dans un hangar. Souvent, on mettait les kolkhoziens « au froid » par brigades entières.

  La méthode du chaud. On arrose les pieds et les rebords des jupes des kolkhoziennes de kérosène et on y mettait le feu. Puis on l’éteignait. ….

  Dans le kolkhoze Napolovski, un certain Plotkine, plénipotentiaire du Comité de district, forçait les kolkhoziens interrogés à s’allonger sur un poêle chauffé à blanc, puis il les « déchauffait  » en les enfermant nus dans un hangar. (…)

  Dans le kolkhoze Lebiajenski, on alignait les kolkhoziens le long d’un mur et on simulait une exécution. (…) Je pourrais multiplier à l’infini ce genre d’exemples. Ce ne sont pas des « abus » , non, c’est la « méthode « courante de collecte du blé. (…)

S’il vous semble que ma lettre est digne de retenir l’attention du Comité central, envoyez donc ici de véritables communistes qui auront le courage de démasquer tous ceux qui ont porté dans ce district un coup mortel à la construction kolkhozienne. (…) Vous êtes notre seul espoir « 

Mikhaïl Cholokhov, lettre à Staline, 4 avril 1933 (Archives présidentielles, fonds 45 ; inventaire 1, dossier 827 ; f° 7-22)

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Canetti sur l’autodestruction

Cette citation de Canetti renvoie à des situations analogues signalées par Ortega y Gasset et par Cholokhov (voir réflexion attachée).

« Le prophète avait maintenant communiqué le dernier ordre. L’exécution en signifierait les derniers préparatifs pour les Xhosas, après quoi ils seraient dignes de recevoir l’aide d’une armée d’esprits. Ils devaient ne plus laisser en vie une seule bête de leurs troupeaux, et détruire tout le blé de leurs greniers. La perspective d’un avenir magnifique attendait ceux qui obéiraient. Au jour fixé il surgirait de la terre des troupeaux avec des milliers et des milliers de têtes, plus beaux que ceux qu’il avait fallu abattre, et les pâturages en seraient couverts à perte de vue. D’immenses champs de millet mûr et prêt à être consommé sortiraient du sol en un clin d’œil. Ce jour-là, les antiques héros de la tribu, les Grands et les Sages du passé, ressusciteraient et prendraient part aux joies des croyants. Souci et maladie disparaîtraient en même temps que les infirmités de l’âge, jeunesse et beauté seraient partagés par les morts ressuscités et les vivants affaiblis. Mais terrible serait le sort de ceux qui s’opposeraient à la volonté des esprits….. » (p.206)

« Le jour si longtemps attendu était enfin arrivé. Les Xhosas avaient veillé toute la nuit au comble de l’excitation. Ils s’attendaient à voir se lever deux soleils rouge sang sur les collines de l’est ; c’est alors que le ciel s’écroulerait fracassant leurs ennemis. A demi morts de faim ils passèrent la nuit dans une joie sauvage. Enfin, le soleil se leva comme d’habitude, un seul soleil, et leur cœur les abandonna. Ils ne perdirent pas espoir tout de suite ; peut-être avait-on voulu parler du midi de ce jour, quand le soleil serait au zénith ; et comme à midi rien ne se passait, ils mirent leur espoir dans le coucher du soleil. Mais le soleil se coucha, tout était fini. » (p.207)

« L’année 1857 vit la population de la partie britannique du pays xhosa passer de 105 mille à 37 mille âmes : il en avait périt 68 mille. » (p.208)

Source : Elias Canetti, Masse et puissance, Gallimard 2004. Pages 206, 207 et 208.

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Léon Tolstoi sur la vie

« La vie n’est pas une plaisanterie, et nous n’avons pas le droit de l’abandonner ainsi. C’est même irraisonnable de la mesurer suivant la durée du temps ; les mois qui nous restent à vivre sont peut-être plus importants que toutes les années vécues ; il faut bien les vivre. »
Léon Tolstoï, Lettre à sa femme Sophia Andreïevna, 30-31 Octobre 1910.
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