Kundera sur rire et vérité

Agelaste 1

 » N’ayant jamais entendu le rire de Dieu, les agélastes sont persuadés que la vérité est claire (…). « 

Agélaste, mot pris du grec signifiant « celui qui ne rit pas« . Un parmi les nombreux néologismes que Rabelais a fait entrer dans la langue française, mais par la suite oublié. Rabelais se plaignait énormément de ces agélastes, « si atroces contre lui », qu’il avait failli cessé d’écrire. Dans les citations suivantes, en réfléchissant au roman et à l’art, Milan Kundera ressuscite ce néologisme oublié et le rapproche du kitsch, attitude de celui qui veut plaire à tout prix et au plus grand nombre, « traduction de la bêtise des idées reçues dans le langage de la beauté et de l’émotion« . Sur le comique de la prétention à la vérité, voir aussi Ortega y Gasset sur rire et vérité.

« Il n’y a pas de paix possible entre le romancier et l’agélaste. N’ayant jamais entendu le rire de Dieu, les agélastes sont persuadés que la vérité est claire, que tous les hommes doivent penser la même chose et qu’eux mêmes sont exactement ce qu’ils pensent être. Mais c’est précisément en perdant la certitude de la vérité et le consentement unanime des autres que l’homme devient individu. Le roman, c’est le paradis imaginaire des individus. C’est le territoire où personne n’est possesseur de la vérité, ni Anna ni Karénine, mais où tous ont le droit d’être compris, et Anna et Karénine. » (p.187-188)

« Les agélastes, la non-pensée des idées reçues, le kitsch, c’est le seul et même ennemi tricéphale de l’art né comme l’écho du rire de Dieu et qui a su créer ce fascinant espace imaginaire où personne n’est possesseur de la vérité et où chacun a le droit d’être compris ». (192-193)

Source : Milan Kundera, L’art du Roman, Folio, 2010. Pages 187-188 et 192-193.

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