Arendt sur solitude et désolation

« La solitude peut devenir désolation. Cela se produit lorsque, tout à moi-même, mon propre moi m’abandonne. »

femme japo

Un psychanalyste et une philosophe qui parlent de façon analogue d’un sujet, même s’ils le font à partir d’expériences et de théorisations différentes.  Il s’agit de Donald Winnicott et d’Hannah Arendt sur la question de la solitude et de la dépendance entre l’individu et son entourage.

Winnicott a décrit l’expérience « réussie » de solitude chez le nourrisson (voir « Winnicott sur la capacité d’être seul« ). Le nourrisson doit pouvoir se laisser aller paisiblement à ce qu’il observe et ressent, sans aucune crainte, tout à lui-même. Une « réussite » tributaire de la présence rassurante de la mère ou de personnes qui comptent pour lui. A contrario, « l’échec » fera du nourrisson un adulte anxieux ne supportant pas la solitude, qu’il ressentira comme une coupure insupportable du reste du monde.

Hannah Arendt distingue solitude de désolation. Dans la solitude, l’individu se sent bien et peut créer, réfléchir, se reposer et se ressourcer (elle rejoigne ainsi la « solitude réussie » de Winnicott). Dans la désolation l’individu se sent totalement isolé et coupé du monde, comme détruit :  l’homme dé-solé n’a plus de racines, plus de « sol » sur lequel s’appuyer. Ce serait la situation où sont placés les individus par les régimes totalitaires.

Ainsi, pour les deux penseurs le mode d’intériorisation de l’environnement dans le moi de l’individu est déterminant de son vécu de la solitude. Les deux réfléchissaient à ces questions à peu près dans les mêmes années de l’après 2ème guerre mondiale.

Une collaboration signée Annette Campo.


« Dans la solitude je suis, en d’autres termes, « parmi moi-même », en compagnie de moi-même, et donc deux-en-un, tandis que dans la désolation je suis en vérité un seul, abandonné de tous les autres » (…) La solitude peut devenir désolation. Cela se produit lorsque, tout à moi-même, mon propre moi m’abandonne ».  (p.228)

« Ce qui rend la désolation si intolérable c’est la perte du moi, qui, s’il peut prendre réalité dans la solitude, ne peut toutefois être confirmé dans son identité que par la présence confiante et digne de foi de mes égaux. Dans cette situation, l’homme perd la foi qu’il a en lui-même comme partenaire de ses pensées et cette élémentaire confiance dans le monde, nécessaire à toute expérience. Le moi et le monde, la faculté de penser et d’éprouver sont perdus en même temps ». (p.229)

Source : Hannah ARENDT, Les origines du totalitarisme – Le système totalitaire, Ed du Seuil 1972. Pages 228 et 229.

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