Hatzfeld et le souvenir des rescapés

« Le rescapé, il a tendance à ne plus se croire réellement vivant, c’est-à-dire celui qu’il était auparavant, et d’une certaine façon, il vit un peu de ça »

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Le génocide Rwandais. Des rescapés qui ne peuvent échapper au souvenir. Des images et des visages qui hantent leurs nuits et leurs jours, qui brouillent les frontières du réel. Le mal de vivre avec cet impossible oubli, le besoin d’en parler. Nous reproduisons ici quelques extraits de témoignages recueillis par Jean Hatzfeld.

Voir aussi Appelfeld sur vie et mort.


« Un génocide, c’est un film qui passe tous les jours devant les yeux de celui qui en a réchappé et qu’il ne sert à rien d’interrompre avant la fin. » (p.213)


« Souvent je regrette le temps gâché à penser à ce mal. Je me dis que cette peur nous ronge le temps que la chance nous a préservé. » (p.226)


« Le rescapé, il a tendance à ne plus se croire réellement vivant, c’est-à-dire celui qu’il était auparavant, et d’une certaine façon, il vit un peu de ça ». (p.113)


« Chez le rescapé, je crois que quelque chose de mystérieux s’est bloqué au plus profond de son être pendant le génocide. Il sait qu’il ne va jamais savoir quoi. Alors il veut en parler tout le temps. Il y a toujours quelque chose de nouveau à dire et à écouter. » (p.112)


Quand je me retrouve seule au champ, j’ai tendance parfois à revoir ça avec trop de chagrin. Alors je pose la houe et je vais chez des avoisinants pour bavarder. On chante, on se partage un jus et ça me fait du bien. » (p.31)


« On parle des tueries presque tous les jours avec les voisins, sinon on en rêve la nuit. (…). Parfois on blague de tout ça, on rit, et quand même on revient, à la fin, sur les instants fatals. »  (p.43)

« Quand on a vécu en vrai un cauchemar éveillé, on ne trie plus comme auparavant les pensées de jour et les pensées de nuit. Depuis le génocide, je me sens toujours poursuivie, le jour, la nuit. Dans mon lit je me tourne contre les ombres ; sur le chemin, je me retourne sur des silhouettes qui me suivent. J’ai peur pour mon enfant quand je croise des yeux inconnus. Parfois je rencontre le visage d’un interahamwe près de la rivière et je me dis : « Tiens, Francine, cet homme, tu l’as déjà vu en rêve », et me souviens seulement après, que ce rêve était ce temps, bien éveillé, du marais. » (p.46)


« Des visages d’amis ou de parents s’effacent, mais cela ne veut pas dire qu’on les néglige peu à peu. On n’oublie rien. Moi il m’arrive de passer plusieurs semaines sans revoir les visages de mon épouse et de mes enfants défunts, alors que j’en rêvais toutes les nuits auparavant. Mais pas un seul jour je n’oublie qu’ils ne sont plus là, qu’ils ont été coupés, qu’on a voulu nous exterminer, que des avoisinants de longue date se sont transformés en animaux en quelques heures. Tous les jours je prononce le mot « génocide. » (p.112)


Source : Jean Hatzfeld, Dans le nu de la vie, récits des marais Rwandais, Points, 2002. Photographies de Raymond Depardon.

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