Arendt sur l’Existentialisme et l’esprit de sérieux

« L’esprit de sérieux est la négation par excellence de la liberté (…) »

Entrée Métro 1Des philosophes qui sont aussi journalistes, auteurs dramatiques, romanciers, dont les livres se vendent comme des romans policiers et les pièces se jouent devant des foules enthousiastes. Des philosophes saltimbanques qui habitent à l’hôtel, passent leur temps dans des cafés. Des philosophes à succès qui ne deviennent pas des raseurs respectables. Une véritable rébellion des intellectuels, selon les termes utilisés par Hannah Arendt pour décrire le courant existentialiste français de l’après Deuxième Guerre Mondiale. Nous reproduisons ici des extraits de sa présentation du rejet par les existentialistes de « l’esprit de sérieux » avec, en arrière plan, la question de savoir si cela n’est pas un mal qui frappe en particulier les technocrates de la société actuelle.

Voir aussi les citations de Sartre et de Nietzsche sur la mauvaise foi et, au sujet de l’Etranger de Camus auquel Arendt fait ici allusion, le commentaire à Nietzsche sur l’éternel retour.


« Les existentialistes français, bien qu’ils diffèrent considérablement entre eux, partagent deux thèmes majeurs de réflexion : premièrement, le rejet de ce qu’ils appellent l’esprit de sérieux ; et deuxièmement le refus obstiné d’accepter le monde tel qu’il est comme le milieux naturel et prédestiné de l’homme.

« L’esprit de sérieux, le péché originel selon la nouvelle philosophie, peut être assimilé à la respectabilité. L’homme « sérieux » est celui qui se pense comme président de son affaire, comme dignitaire de la Légion d’honneur, comme membre de la faculté, mais aussi comme père, comme mari, ou n’importe qu’elle autre fonction mi-naturelle, mi-sociale. Car, en se comportant ainsi, il s’identifie de plein gré à une fonction arbitraire dont il est redevable à la société. L’esprit de sérieux est la négation par excellence de la liberté, car il conduit l’homme à se prêter à l’inévitable transformation que subit tout être humain quand il s’intègre à la société. Puisque chacun sait parfaitement au fond de lui-même qu’il ne peut être identique à sa fonction, l’esprit de sérieux signifie mauvaise foi dans le sens de prétention indue ». (p.78)

« Le sujet de l’homme sérieux a été abordé pour la première fois pas Sartre dans La nausée, dans une formidable galerie de portraits de citoyens respectables, les salauds. Il devint par la suite le thème central du roman de Camus, L’étranger (…) un homme ordinaire qui refuse tout simplement de se soumettre à l’esprit de sérieux de la société (…). » (p.79)

Source : Hannah Arendt, L’existentialisme français, Rivages poche/Petite Bibliothèque, 2011. Pages 78 et 79. Publié d’abord dans The Nation, 162, 23 février 1946.

Facebooktwitterredditpinterestlinkedinmail

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *