Onfray sur Freud et Mussolini

« La solution ne choquerait pas Mussolini : Freud pense en effet qu’il faut instruire une élite pour diriger les masses. »

Sculture et bras

Voici quelques citations de Michel Onfray au sujet de l’échange entre Einstein et Freud sur la suppression des guerres, où il cherche à montrer que, contrairement à Einstein, Freud n’était pas un vrai pacifiste, et qu’il penchait vers des solutions qui n’auraient pas choqué Mussolini. Dans les extraits ci-après, qui contiennent la phrase mise en exergue, il donne sa version personnelle de la réponse de Freud à Einstein sur la possibilité d’arrêter les guerres.

(Voir aussi le commentaire proposé à la fin, ainsi que : « Einstein sur la guerre » ; « Freud sur la guerre » ; « Roudinesco sur Freud et Mussolini » ).

Voici les propos de Michel Onfray : 

« Mais la réponse arrive en fin de lettre :  » Pourquoi nous indignons-nous tant contre la guerre, vous et moi et tant d’autres, pourquoi ne l’acceptons-nous pas comme telle autre des nombreuses et cruelles nécessités de la vie ? Elle semble pourtant conforme à la nature, biologiquement bien fondée pratiquement à peine évitable » (Freud, Œuvres Complètes XIX. 79). Et puis encore : « La question est de savoir si la communauté ne doit pas avoir également un droit sur la vie de l’individu ; on ne peut pas condamner toutes les espèces de guerre au même degré ; tant qu’il y a des nations et des empires qui sont prêts sans aucun regard, à en anéantir d’autres, ces autres doivent être armées pour la guerre (Freud, ibid).

« Dès lors : la lucidité et le pragmatisme nous obligent à conclure que la guerre est une nécessité cruelle de la vie; qu’elle se trouve biologiquement fondée ; qu’elle est quasiment inévitable ; que la communauté a des droits sur les individus qui la constituent ; que toute guerre n’est pas mauvaise en soi ; qu’il faut l’accepter, que le désarmement est une utopie une chimère, qu’il faut être armé temps que d’autres le seront, c’est-à-dire toujours. Certes il faut vouloir la paix, désirer la fin de la guerre, éduquer, investir dans la culture qui éloigne de l’agressivité, mais qui éduquerait et comment ? La solution ne choquerait pas Mussolini : Freud pense en effet qu’il faut instruire une élite pour diriger les masses. Voilà la solution à apporter au problème de la guerre : un élitisme aristocratique à fin d’éduquer les masses au renoncement pulsionnel. » (p.533-534)

Michel Onfray : Le Crépuscule d’une idole. L’affabulation freudienne, Le Livre de Poche, 2013. Pages 533-534.

COMMENTAIRE

Dans les propos précédents d’Onfray, les citations extraites de la lettre de Freud à Einstein sont tronquées, ce qui, dès lors, en déforme la pensée. Nous reproduisons ici les citations complètes de Freud en indiquant les points de rupture imposés par Onfray.

//Début du propos de Freud// « Pourquoi nous indignons-nous tant contre la guerre, vous et moi et tant d’autres, pourquoi ne l’acceptons-nous pas comme telle autre des nombreuses et cruelles nécessités de la vie ? Elle semble pourtant conforme à la nature, biologiquement bien fondée, pratiquement à peine évitable //coupure par Onfray//. Ne soyez pas épouvanté de me voir poser cette question. Pour mener à bien une investigation, on peut peut-être prendre le masque d’une supériorité dont on ne dispose pas en réalité. La réponse sera : parce que tout homme a un droit sur sa propre vie, parce que la guerre anéantit des vies humaines pleines d’espérance, qu’elle met l’individu humain dans des situations qui l’avilissent, qu’elle le contraint à commettre le meurtre sur d’autres, ce qu’il ne veut pas, qu’elle détruit de précieuses valeurs matérielles, résultat du travail des hommes, et autres choses encore. » (Freud, Œuvres Complètes t.XIX. p.79).

//Début du propos de Freud// « Tout cela est vrai et semble tellement incontestable qu’on s’étonne seulement que la pratique de la guerre n’ait pas été rejetée par un accord général entre les hommes. On peut certes discuter sur tel ou tel de ces points. //Début de citation par Onfray// La question est de savoir si la communauté ne doit pas avoir également un droit sur la vie de l’individu ; on ne peut pas condamner toutes les espèces de guerre au même degré ; tant qu’il y a des nations et des empires qui sont prêts sans aucun regard, à en anéantir d’autres, ces autres doivent être armées pour la guerre //coupure par Onfray//. Mais passons rapidement sur tout cela ; ce n’est pas la discussion à laquelle vous m’avez invité. J’ai quelque chose d’autre en vue : je crois que la raison majeure pour laquelle nous nous indignons est que nous ne pouvons pas faire autrement. Nous sommes des pacifistes, parce que, pour des raisons organiques, nous ne pouvons pas ne pas l’être. » (Freud, Œuvres Complètes t.XIX. p.80)

La façon dont Onfray interprète les propos de Freud peut aussi poser problème. Comparons :

-Onfray : « La solution ne choquerait pas Mussolini : Freud pense en effet qu’il faut instruire une élite pour diriger les masses. Voilà la solution à apporter au problème de la guerre : un élitisme aristocratique à fin d’éduquer les masses au renoncement pulsionnel. » (Le Crépuscule d’une idole. L’affabulation freudienne, Le Livre de Poche, 2013, p.533-534)

-Freud : « Partant de là, il faudrait consacrer davantage de soin qu’on ne l’a fait jusqu’ici pour éduquer une couche supérieure d’hommes pensant de façon autonome, inaccessibles à l’intimidation et luttant pour la vérité, auxquels reviendrait la direction des masses non autonomes. Que les empiétements des pouvoirs étatiques et l’interdit de pensée venant de l’Eglise ne soient pas favorables à ce que l’on élève ainsi les hommes, n’a nul besoin de démonstration. » (Freud, Œuvres Complètes t.XIX. p.79)

Pour finir, voici la conclusion de Freud, qui affirme sa conviction pacifiste et qui est loin d’être une fermeture à la possibilité de suppression de la guerre :

« Combien de temps nous faut-il encore attendre avant que les autres aussi deviennent pacifistes ? On ne saurait le dire, mais peut être n’est-il pas utopique d’espérer que l’influence de ces deux facteurs, la position culturelle et l’angoisse justifiée devant les effets d’une guerre future, mettra fin à la pratique de la guerre dans un avenir à portée de vue. Par quelles voies directes ou détournées, nous ne pouvons pas le deviner. En attendant, il nous est permis de nous dire : tout ce qui promeut le développement culturel travaille du même coup contre la guerre. » (Freud, Œuvres Complètes t.XIX. p.81).

Tout cela était écrit en 1932. C’est donc malheureusement une question sur laquelle Freud semble s’être trompé, mais qu’Onfray ne pouvait relever sans contredire sa thèse d’un Freud non pacifiste.

Facebooktwitterredditpinterestlinkedinmail

3 réflexions au sujet de « Onfray sur Freud et Mussolini »

  1. Je frémis en constatant la malhonnêteté des citations, à partir du moment où le fait des les tronquer en inverse littéralement le sens. En même temps, cela pose la question de la citation en général: à partir de quelle phrase extirpée d’un livre ou d’un texte peut-on être considéré comme altérant le contenu du texte ?

  2. Onfray est un falsificateur avec des airs d’homme sincère, intelligent à la pensée percutante… et simplificatrice, vulgarisatrice… Particulièrement frappant dans ses « causeries » à l’université de Caen je crois, que France culture a eu la faiblesse de diffuser longuement.

    Comme tous les vulgarisateurs, sa pensée est réductrice et en réduisant et tronquant les textes de ces penseurs, il déforme leur pensée jusqu’à en donner sens contraire. Homme habile sans doute, mais méprisable car il est suffisamment intelligent pour comprendre ce qu’il fait. Aussi, peut se poser la question de sa motivation ? Mais elle est évidente, et économique, et psychologique. Un égo surdimensionné ne crachant pas sur la célébrité et l’argent…. Méprisable… Et sans doute pas de conflit avec son miroir au moment de se raser.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *