Nancy sur l’antisémitisme de Heidegger

« le motif antisémite s’inscrit de manière très nette au sein de ce dispositif : le peuple juif appartient de manière essentielle au processus de dévastation du monde. »

20140430_132730Après la dénonciation des accointances de Heidegger eut avec les nazis, la polémique à son sujet a rebondi avec la publication, plus récente, de ses Cahiers Noirs (de 1931 à 1941) révélant au grand jour son antisémitisme. Les nombreuses tentatives faites pour le dédouaner ne sont, selon Jean-Luc Nancy, que des refus de lecture, des ruses d’interprétation, des dénégations ou de l’aveuglement. Son analyse des Cahiers montre que Heidegger considérait le type juif comme responsable de la décadence de l’Occident, et son exclusion nécessaire pour un nouveau recommencement.

Voir aussi Arendt sur Eichman et la banalité du mal ; De Swann sur Arendt et la banalité du mal  ; Klemperer sur la langue nazie


« Avec les Cahiers Noirs de Heidegger, il est possible de (…) parler de l’introduction en philosophie d’une banalité — celle-là même dont témoigne le discours juridique de Vichy mais aussi bien le discours antisémite plus que largement répandu en Europe depuis le début du XXè siècle. Ce discours a produit des effets d’adhésion quasiment mécanique sur la majorité de tous ceux que ne préservait aucune pensée capable de critiquer les grossièretés historiques, anthropologiques, philosophiques et fantasmatiques dont ce discours est rempli. » (p.13)

« Je n’ai pas ici à m’interroger sur cette nécessité du déclin (…) indispensable à la survenu d’un autre commencement (…) c’est une question très importante et très ample dans la pensée de Heidegger de cette époque (…). Dans le cadre de cette étude il suffit de constater que le motif antisémite s’inscrit de manière très nette au sein de ce dispositif : le peuple juif appartient de manière essentielle au processus de dévastation du monde. Il en est l’agent le mieux identifiable par le fait même qu’il représente une figure, une forme ou un type (…) — la figure de l’aptitude au calcul, du trafic et de l’astuce. » (p33)

« D’où Heidegger prend-il cette figure ? Tout simplement du plus banal, vulgaire, trivial et fangeux discours qui traîne depuis longtemps dans l’Europe et qui s’est doté depuis une trentaine d’années de la misérable publication des Protocoles des Sages de Sion. » (p.39)

« Le sort qu’il faut rechercher ou espérer pour le juif sans sol, sans histoire, sans peuple et sans identité autre que le calcul destructeur ne peut, de toutes façons, qu’être une forme ou une autre d’exclusion, de rejet au dehors » (p.47)

Source : Jean-Luc Nancy, Banalité de Heidegger, Galilée, 2015.

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Une réflexion au sujet de « Nancy sur l’antisémitisme de Heidegger »

  1. Édifiant ! Difficile après ça de nier son antisémitisme primaire.
    Il est vrai que souvent, les grands intellectuels sont capables d’imbécillité crasse quand ils se hasardent en politique.
    Les nôtres ont souvent été aveugles pour ne pas dire bêtes dans leur engagement stalinien.

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