Winnicott sur créativité et soumission

« Tout compte fait, notre théorie présuppose que vivre créativement témoigne d’une bonne santé et que la soumission constitue, elle, une mauvaise base de l’existence. »

Donald W. Winnicott oppose ici deux façons de vivre, la vie créative et la vie soumise, dont la signification apparaît dans les citations ci-après. La vie soumise aurait selon lui une composante pathologique. Il y a peut-être ici une analogie à faire  avec le « démon du midi » qui frappait les moines du désert ou encore, plus près de nous, avec l’ennui qui advient, selon le philosophe chilien Humberto Giannini (voir « Giannini sobre el aburrimiento » et la réflexion attachée). Voir aussi « Winnicott sur la frustration du jeune enfant« .


« Le lecteur consentira, je l’espère, à envisager la créativité dans son acception la plus large, sans l’enfermer dans les limites d’une création réussie ou reconnue(…) » p.127

« Il s’agit avant tout d’un mode créatif de perception qui donne à l’individu le sentiment que la vie vaut la peine d’être vécue ; ce qui s’oppose à un tel mode de perception, c’est une relation de complaisance soumise envers la réalité extérieure : le monde et tous ces éléments sont alors reconnus mais seulement comme étant ce à quoi il faut s’ajuster et s’adapter. La soumission entraîne chez l’individu un sentiment de futilité, associé à l’idée que rien n’a d’importance. » p.127.

« Cette seconde manière de vivre dans le monde doit être tenue pour une maladie, au sens psychiatrique du terme. Tout compte fait, notre théorie présuppose que vivre créativement témoigne d’une bonne santé et que la soumission constitue, elle, une mauvaise base de l’existence. » p.127-128.

Source : D.W. Winnicott, « Jeu et réalité », Folio, 2003. Pages 127-128.

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Onfray sur Freud et Mussolini

« La solution ne choquerait pas Mussolini : Freud pense en effet qu’il faut instruire une élite pour diriger les masses. »

Sculture et bras

Voici quelques citations de Michel Onfray au sujet de l’échange entre Einstein et Freud sur la suppression des guerres, où il cherche à montrer que, contrairement à Einstein, Freud n’était pas un vrai pacifiste, et qu’il penchait vers des solutions qui n’auraient pas choqué Mussolini. Dans les extraits ci-après, qui contiennent la phrase mise en exergue, il donne sa version personnelle de la réponse de Freud à Einstein sur la possibilité d’arrêter les guerres.

(Voir aussi le commentaire proposé à la fin, ainsi que : « Einstein sur la guerre » ; « Freud sur la guerre » ; « Roudinesco sur Freud et Mussolini » ).

Voici les propos de Michel Onfray : 

« Mais la réponse arrive en fin de lettre :  » Pourquoi nous indignons-nous tant contre la guerre, vous et moi et tant d’autres, pourquoi ne l’acceptons-nous pas comme telle autre des nombreuses et cruelles nécessités de la vie ? Elle semble pourtant conforme à la nature, biologiquement bien fondée pratiquement à peine évitable » (Freud, Œuvres Complètes XIX. 79). Et puis encore : « La question est de savoir si la communauté ne doit pas avoir également un droit sur la vie de l’individu ; on ne peut pas condamner toutes les espèces de guerre au même degré ; tant qu’il y a des nations et des empires qui sont prêts sans aucun regard, à en anéantir d’autres, ces autres doivent être armées pour la guerre (Freud, ibid).

« Dès lors : la lucidité et le pragmatisme nous obligent à conclure que la guerre est une nécessité cruelle de la vie; qu’elle se trouve biologiquement fondée ; qu’elle est quasiment inévitable ; que la communauté a des droits sur les individus qui la constituent ; que toute guerre n’est pas mauvaise en soi ; qu’il faut l’accepter, que le désarmement est une utopie une chimère, qu’il faut être armé temps que d’autres le seront, c’est-à-dire toujours. Certes il faut vouloir la paix, désirer la fin de la guerre, éduquer, investir dans la culture qui éloigne de l’agressivité, mais qui éduquerait et comment ? La solution ne choquerait pas Mussolini : Freud pense en effet qu’il faut instruire une élite pour diriger les masses. Voilà la solution à apporter au problème de la guerre : un élitisme aristocratique à fin d’éduquer les masses au renoncement pulsionnel. » (p.533-534)

Michel Onfray : Le Crépuscule d’une idole. L’affabulation freudienne, Le Livre de Poche, 2013. Pages 533-534.

COMMENTAIRE

Dans les propos précédents d’Onfray, les citations extraites de la lettre de Freud à Einstein sont tronquées, ce qui, dès lors, en déforme la pensée. Nous reproduisons ici les citations complètes de Freud en indiquant les points de rupture imposés par Onfray.

//Début du propos de Freud// « Pourquoi nous indignons-nous tant contre la guerre, vous et moi et tant d’autres, pourquoi ne l’acceptons-nous pas comme telle autre des nombreuses et cruelles nécessités de la vie ? Elle semble pourtant conforme à la nature, biologiquement bien fondée, pratiquement à peine évitable //coupure par Onfray//. Ne soyez pas épouvanté de me voir poser cette question. Pour mener à bien une investigation, on peut peut-être prendre le masque d’une supériorité dont on ne dispose pas en réalité. La réponse sera : parce que tout homme a un droit sur sa propre vie, parce que la guerre anéantit des vies humaines pleines d’espérance, qu’elle met l’individu humain dans des situations qui l’avilissent, qu’elle le contraint à commettre le meurtre sur d’autres, ce qu’il ne veut pas, qu’elle détruit de précieuses valeurs matérielles, résultat du travail des hommes, et autres choses encore. » (Freud, Œuvres Complètes t.XIX. p.79).

//Début du propos de Freud// « Tout cela est vrai et semble tellement incontestable qu’on s’étonne seulement que la pratique de la guerre n’ait pas été rejetée par un accord général entre les hommes. On peut certes discuter sur tel ou tel de ces points. //Début de citation par Onfray// La question est de savoir si la communauté ne doit pas avoir également un droit sur la vie de l’individu ; on ne peut pas condamner toutes les espèces de guerre au même degré ; tant qu’il y a des nations et des empires qui sont prêts sans aucun regard, à en anéantir d’autres, ces autres doivent être armées pour la guerre //coupure par Onfray//. Mais passons rapidement sur tout cela ; ce n’est pas la discussion à laquelle vous m’avez invité. J’ai quelque chose d’autre en vue : je crois que la raison majeure pour laquelle nous nous indignons est que nous ne pouvons pas faire autrement. Nous sommes des pacifistes, parce que, pour des raisons organiques, nous ne pouvons pas ne pas l’être. » (Freud, Œuvres Complètes t.XIX. p.80)

La façon dont Onfray interprète les propos de Freud peut aussi poser problème. Comparons :

-Onfray : « La solution ne choquerait pas Mussolini : Freud pense en effet qu’il faut instruire une élite pour diriger les masses. Voilà la solution à apporter au problème de la guerre : un élitisme aristocratique à fin d’éduquer les masses au renoncement pulsionnel. » (Le Crépuscule d’une idole. L’affabulation freudienne, Le Livre de Poche, 2013, p.533-534)

-Freud : « Partant de là, il faudrait consacrer davantage de soin qu’on ne l’a fait jusqu’ici pour éduquer une couche supérieure d’hommes pensant de façon autonome, inaccessibles à l’intimidation et luttant pour la vérité, auxquels reviendrait la direction des masses non autonomes. Que les empiétements des pouvoirs étatiques et l’interdit de pensée venant de l’Eglise ne soient pas favorables à ce que l’on élève ainsi les hommes, n’a nul besoin de démonstration. » (Freud, Œuvres Complètes t.XIX. p.79)

Pour finir, voici la conclusion de Freud, qui affirme sa conviction pacifiste et qui est loin d’être une fermeture à la possibilité de suppression de la guerre :

« Combien de temps nous faut-il encore attendre avant que les autres aussi deviennent pacifistes ? On ne saurait le dire, mais peut être n’est-il pas utopique d’espérer que l’influence de ces deux facteurs, la position culturelle et l’angoisse justifiée devant les effets d’une guerre future, mettra fin à la pratique de la guerre dans un avenir à portée de vue. Par quelles voies directes ou détournées, nous ne pouvons pas le deviner. En attendant, il nous est permis de nous dire : tout ce qui promeut le développement culturel travaille du même coup contre la guerre. » (Freud, Œuvres Complètes t.XIX. p.81).

Tout cela était écrit en 1932. C’est donc malheureusement une question sur laquelle Freud semble s’être trompé, mais qu’Onfray ne pouvait relever sans contredire sa thèse d’un Freud non pacifiste.

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Roudinesco sur Freud et Mussolini

En 1933 l’analyste Eduardo Weiss arrive de Rome avec une de ces patientes, pour solliciter à Freud de l’aide dans cette cure qui s’avère difficile. La patiente était accompagnée de son père Giovacchino Forzano, un proche de Mussolini, avec qui il avait écrit une pièce de théâtre sur Napoléon. Des extraits de travail d’Elisabeth Roudinesco su Freud rendent compte ici de cet épisode.

En rapport à ses extraits , voir aussi « Freud sur la guerre » et « Onfray sur Freud et Mussolini« .

 

« Pour séduire Freud, à qui il confiait le destin de sa fille, Forzano apporta à la Bergasse l’édition allemande de l’ouvrage. Sur le frontispice, il avait rédigé une dédicace au nom des deux auteurs : « Á S.F. qui rendra le monde meilleur, avec admiration et reconnaissance. » Et c’est pour cette raison qu’il demanda à Herr Professor de lui donner à son tour une photo et un livre de lui accompagné d’une mention autographe pour Mussolini. Soucieux de protéger Weiss, qui organisait le mouvement psychanalytique et venait de faire paraître la première livraison de la Rivista italiana di psicoanalisi, Freud alla chercher dans sa bibliothèque un exemplaire de « Pourquoi la guerre ? » et rédigea un texte appelé à susciter de violentes polémiques : « Pour Benito Mussolini avec les humbles salutations d’un vieil homme qui reconnaît dans l’homme de pouvoir un champion de la culture. » (p.445-446)

« Protecteur de la psychanalyse, Forzano, liée à Weiss, n’obtint en fait aucun soutien de la part de Mussolini, qui n’avait pas la moindre intention de s’opposer à l’Église catholique. Et d’ailleurs (…) le dictateur denonça la psychanalyse comme une « fraude orchestrée par un Pontifex Maximus ». Au point que (…) Weiss ne put empêcher les services de la Propagande de suspendre la parution de la Rivista. Pire encore, la diplomatie fasciste commanda une ridicule enquête sur les activités de la WPV destinée à prouver que Sigismond (sic) Freud entretenait des relations suspectes avec le penseur anarchiste Camillo Berneri et que ses disciples se livraient à des opérations mercantiles soutenues par les socialistes et les communistes. » (p.446-447).

« Il faut être bien ignorant de l’histoire pour penser que Freud aurait été fasciste comme ne manque pas de l’affirmer Michel Onfray dans son brûlot « Le crépuscule d’une idole. L’affabulation freudienne« , Paris, Grasset, 2010, pages 504-533 et 590-591. Onfray n’a consulté ni les archives de la Library of Congress ni les correspondances de Freud et de Weiss à ce sujet. » (note 2, p.446).

Source : Elisabeth Roudinesco, Sigmund Freud en son temps et dans le notre, Seuil, 2014. Pages 445 à 447.

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Freud sur la guerre

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« (…) je voudrais m’attarder encore un instant sur la pulsion de destruction (…) cette pulsion travaille à l’intérieur de tout être vivant (…) »

Extraits de la réponse faite par Freud à la lettre d’Albert Einstein concernant la possibilité de neutraliser les pulsions agressives qui mènent à la guerre. Il s’agit d’un échange épistolaire suscité et publié par la Société des Nations en 1933, sous le titre « Pourquoi la guerre ? « .

Cet ouvrage a été dédicacé par Freud à Mussolini. Tentative, semble-t-il, de protéger la psychanalyse dans l’Italie fasciste (voir « Roudinesco sur Freud et Mussolini« ) Vu le contenu du texte dédicacé, le choix de Freud ne semble pas avoir été le fruit du pur hasard.

Voir aussi « Onfray sur Freud et Mussolini« , Camus sur le suicide, Ricoeur sur violence, Hobbes sur sécurité et liberté, Freud sur liberté, sécurité et culture.


« Nous supposons que les pulsions de l’homme sont de deux espèces seulement, soit celles qui veulent conserver et réunir —nous les nommons érotiques (…) dans le sens de l’Eros dans le Banquet de Platon, ou sexuelles par une extension consciente du concept populaire de sexualité — et d’autres qui veulent détruire et mettre à mort (…) L’une de ces pulsions est tout aussi indispensable que l’autre, de l’action conjuguée et antagoniste des deux procèdent les phénomènes de la vie ». (p.75-76)

« Quand donc les hommes sont invités à faire la guerre, bon nombre de motifs en eux peuvent y répondre favorablement, nobles et communs, ceux dont on parle à haute voix, et d’autres que l’on passe sous silence (…) Le plaisir pris à l’agression et à la destruction compte certainement parmi eux ; d’innombrables cruautés relevant de l’histoire et du quotidien confirment leur existence et leur force. « (p.76-77)

« (…) je voudrais m’attarder encore un instant sur la pulsion de destruction (…) cette pulsion travaille à l’intérieur de tout être vivant, et a donc pour tendance de provoquer sa désagrégation (…) Elle mériterait en toute rigueur le nom de pulsion de mort, tandis que les pulsions érotiques représentent les aspirations à la vie. La pulsion de mort devient pulsion de destruction en étant retournée (…) vers l’extérieur, sur des objets. L’être humain préserve pour ainsi dire sa propre vie en détruisant une vie étrangère. Une part de la pulsion de mort reste active à l’intérieur de l’être vivant, et nous avons même commis l’hérésie d’expliquer l’apparition de notre conscience morale par un tel retournement de l’agression vers l’intérieur (…) il n’est pas si dénoué d’inconvénients que ce processus s’effectue à une trop grande échelle : cela est franchement malsain, alors même que le retournement de ces forces pulsionnelles vers la destruction dans le monde extérieur soulage l’être vivant et ne peut avoir qu’un effet bénéfique. Cela servirait de disculpation biologique à toutes les tendances haïssables et dangereuses contre lesquelles nous menons le combat. » (p.77)

« Du reste il ne s’agit pas (…) d’éliminer totalement le penchant à l’agressivité chez l’homme  ; on peut tenter de le dévier suffisamment pour qu’il n’ait pas à trouver son expression dans la guerre ». (p.78)

« (…) nous trouvons aisément une formule indiquant les voies indirectes pour combattre la guerre. Si la complaisance à la guerre est une émanation de la pulsion de destruction, on est tenté d’invoquer contre elle l’antagoniste de cette pulsion, l’Eros. Tout ce qui instaure des liaisons de sentiment parmi les hommes ne peut qu’agir contre la guerre (…) Premièrement des relations comme celles avec un objet d’amour, quoique sans buts sexuels. L’autre espèce de relation de sentiment est la liaison par identification. Tout ce qui instaure parmi les hommes des intérêts communs significatifs suscite de tels sentiments communautaires, des identifications. Sur eux repose pour une bonne partie l’édifice de la société humaine » (p.78-79)

« Je vous salue cordialement et si mon exposé vous a déçu, je vous demande pardon. »(p.81)

Source : Lettre de Freud à Einstein, in Sigmund Freud « Oeuvres complètes« , t.XIX, Presses Universitaires de France, 2004. Pages 75 à 79.

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