Hesse sur les personnalités médiatiques

Herman Hesse commence à rédiger « Le jeu des perles de verre » peu avant l’arrivée des Nazis au pouvoir en Allemagne, et y met le point final en 1942. Il est question dans ce roman d’une société en décadence culturelle dont la crise ouvre la voie à une utopie imaginée par l’auteur. Par ce cheminement il tentait de reléguer une actualité gênante à un passé surmonté. La description de cette décadence culturelle transpose en effet son sentiment sur l’époque, qu’il a par ailleurs qualifiée de « présent maléfique ». Les citations proposées dépeignent en particulier la crise de la presse et du monde intellectuel : des fictions qui résonnent aujourd’hui.

Cette vision romanesque de la dégradation intellectuelle rappelle les analyses faites quelques années auparavant par José Ortega y Gasset sur les spécialistes barbares.

 

« Il faut avouer qu’une partie des exemples d’avilissement, de vénalité, de reniement de soi que donnait l’esprit à cette époque et qui nous sont cités par Coldebique sont vraiment stupéfiants. » (p.1456)

« (…) je veux dire les « articles de variétés ». Il semble qu’ils aient été faits par millions : ils devaient constituer un élément particulièrement prisé de la matière de la presse quotidienne, former le principal aliment des lecteurs en mal de culture, et constituer des comptes rendus ou plutôt des « causeries » sur mille espèces d’objets du savoir. Les plus intelligents des auteurs de ces articles de variétés ironisaient souvent eux-mêmes, semble-t-il, sur leur propre travail : du moins Coldebique avoue-t-il avoir rencontré beaucoup d’écrits de ce genre, dans lesquels il incline à voir un persiflage de l’auteur par lui-même, car sans cela ils seraient proprement incompréhensibles (…) Les rédacteurs de ces aimables bavardages étaient les uns employés par les journaux, les autres « indépendants » ; souvent même on les qualifiait d’écrivains, mais il semble aussi que beaucoup d’eux se soient recrutés parmi les clercs, qu’ils aient même été des professeurs d’université réputés (…) Quand nous lisons les titres des causeries de cette espèce cités par Coldebique, ce qui nous surprend le plus n’est pas tant qu’il se soit trouvé des gens pour faire de cette lecture leur pâture quotidienne, que de voir des auteurs réputés et classés, en possession d’une bonne culture de base, aider à « alimenter » cette gigantesque consommation de curiosités sans valeur (…) De temps à autre, on se plaisait particulièrement à interroger des personnalités sur des questions à l’ordre du jour ; Coldebique consacre un chapitre spécial à ces entretiens au cours desquels on faisait, par exemple, exprimer à des chimistes réputés  ou à des pianistes virtuoses leur opinion sur la politique, tandis que des acteurs en vogue, des danseurs, des gymnastes, des aviateurs ou même des poètes devaient dire ce qu’ils pensaient des avantages et des inconvénients du célibat, leur sentiment sur les causes présumées des crises financières, etc. La seule chose qui importât, c’était d’associer un nom connu à un sujet qui se trouvait être d’actualité. » (p.1456-1457)

Source : Hermann Hesse, Le jeu des perles de verres in Romans et Nouvelles ; Le livre de poche, 2005. (pages 1456-1457)

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Ortega y Gasset sur le spécialiste barbare

« Ce n’est pas un savant, car il ignore complètement ce qui n’entre pas dans sa spécialité ; mais il n’est pas non plus un ignorant, car c’est un « homme de science » (…). »

Couleurs flutéesLa Révolte des Masses a été publié pour la première fois en 1930. Une époque de bouleversements politiques et d’engagements passionnels et militants, notamment autour du bolchevisme et du fascisme. L’ouvrage, qui devait aider à comprendre ce monde-là, monde d’hier, est cependant devenu un outil de compréhension du monde actuel. Les citations ci-dessous font en tout cas penser à un personnage actuel, que d’aucuns appellent « toutologues » : des spécialistes très qualifiés qui se répandent dans les médias sur des sujets qui débordent largement leurs domaines de compétences.

Elles résonnent avec la citation  de Hesse sur les personnalités médiatiques. Voir aussi Steffens sur l’excession du monde, Nietzsche sur les maîtres à penser, Maîtres du Talmud sur les maîtres.


« Ce n’est pas un savant, car il ignore complètement ce qui n’entre pas dans sa spécialité ; mais il n’est pas non plus un ignorant, car c’est un « homme de science » qui connaît très bien sa petite portion de l’univers. Nous dirons donc que c’est un savant-ignorant, chose extrêmement grave, puisque cela signifie que c’est un monsieur qui se comportera, dans toutes les questions qu’il ignore, non comme un ignorant, mais avec toute la pédanterie de quelqu’un qui, dans son domaine spécial, est un savant.

« C’est ainsi en effet que se comporte le spécialiste. En politique, en art, dans les usages sociaux, dans les autres sciences, il adoptera des attitudes de primitif, de véritable ignorant, mais il les adoptera avec énergie et suffisance, sans admettre —voilà bien le paradoxe— que ces domaines là puissent aussi avoir leur spécialistes. En le spécialisant la civilisation l’a rendu hermétique et satisfait à l’intérieur de ses propres limites ; mais cette même sensation intime de domination et de puissance le portera à vouloir dominer hors de sa spécialité. D’où il résulte que même dans ce cas qui représente le maximum de l’homme qualifié, et par conséquent le plus opposé à l’homme-masse, le spécialiste se comportera sans qualification, comme un homme-masse, et ceci dans presque toutes les sphères de la vie.

« Ceci n’est pas une vague remarque. Qui le veut peut observer la stupidité avec laquelle pensent, jugent et agissent aujourd’hui en politique, en art, en religion et dans les problèmes généraux de la vie et du monde les « hommes de science », et évidemment, à leur suite, les médecins, ingénieurs, financiers, professeurs, etc. » (p187-188)

Source : José Ortega y Gasset, La révolte des masses, Les belles lettres, 2011. Pages 187-188.

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Ortega y Gasset sur l’autodestruction

« Ces réjouissances se prolongèrent jusqu’à la complète destruction de ladite ville. Ce village, pour mieux se livrer à sa joie monarchique, se détruisit lui-même. Admirable Nijar, l’avenir est à toi ! »

Ortega y Gasset a prit le récit de l’autodestruction de Nijar d’un texte d’époque cité par Manuel Danvila dans le « Règne de Charles III » , tome II, p.10, note 2. Il présente des analogies avec celui décrit dans « Canetti sur l’autodestruction. »

20140125_123235_1« J’ai trouvé une amusante caricature de cette tendance à propter vitam, vitae perdere causas dans ce qui arriva à Nijar, village voisin d’Almería, lorsque Charles III fut proclamé roi le 13 septembre 1759. La proclamation se fit sur la grande place. « Sitôt après on demanda d’apporter à boire à toute cette grande affluence qui consomma 77 arrobes de vin et 4 outres d’eau-de-vie, dont les pernicieuses vapeurs chauffèrent de si belle manière les esprits que la foule se dirigea vers le Grenier Municipal avec des vivats répétés, y pénétra, jeta par les fenêtres tout le blé qui s’y trouvait et les 900 réaux du Trésor. De là ils passèrent à la Régie et commandèrent de jeter le tabac et l’argent de la Recette. Ils firent de même dans les boutiques, ordonnant, pour mieux corser la fête, de répandre tous les comestibles et liquides qui s’y trouvaient. L’état ecclésiastique y concouru vivement, puis, à grands cris, on incita les femmes afin qu’elles jetassent avec plus de générosité tout ce qu’elles avaient chez elles, ce qu’elles firent avec le plus complet désintéressement puisqu’il ne resta rien : pain, blé, orge, farine, chaudrons, mortiers et chaises. Ces réjouissances se prolongèrent jusqu’à la complète destruction de ladite ville. Ce village, pour mieux se livrer à sa joie monarchique, se détruisit lui-même. Admirable Nijar, l’avenir est à toi ! »

Source : Ortega y Gasset, La révolte des masses, Éditions Les Belles Lettres, 2011. Page 133, note 2.

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Kundera sur la Litost

Cette notion est à mettre en rapport avec le « démon de midi » et l’acédie des moines du désert du moyen âge et avec l’idée de l’ennui (aburrimiento) comme horreur de soi développée par philosophe chilien Humberto Giannini.

« Litost est un mot tchèque intraduisible en d’autres langues. Sa première syllabe, qui se prononce longue et accentuée, rappelle la plainte d’un chien abandonné. Pour le sens du mot je cherche vainement un équivalent dans d’autres langues, bien que j’aie peine à imaginer que l’on puisse comprendre l’âme humaine sans lui ». (p.199)

« La Listost est un état tourmentant né du spectacle de notre propre misère soudainement découverte ». (p.200)

Source : Milan Kundera, Le livre du rire et de l’oubli, Folio, 2006, pages 199 et 200.

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Giannini sobre el Aburrimiento

porte cave« (…) aburrimiento…  aborrecimiento…  ab horreo…  horror. »

Según Humberto Giannini el aburrimiento como horror de sí lleva al hombre moderno a una fuga permanente. A huir del aburrimiento para no encontrarse con su propio vacío. Nuestro aburrimiento tendría un antecedente « arqueológico » en la acedía, en « el demonio de mediodía », del que se creía eran víctimas los monjes del desierto a comienzos de la era cristiana y más tarde durante la Edad Media. A su vez, « el demonio de mediodía » no deja de recordarnos la « litost » de Kundera, la « sumisión » de Winnicot o el « taedium vitae » de la Roma antigua. Ver más abajo una reflexión sobre las citas de Giannini. Ver también « Pascal sur le divertissement » , « Besnier sur la zombification« , « Baudelaire sur l’ennui« , Mann sur la liberté de décider.

« (…) aburrimiento…  aborrecimiento…  ab horreo…  horror. El parentezco entre estos términos lo encontramos casualmente en un texto del siglo XVIII. Al enumerar algunos giros de contenido metafísico que circulaban en el italiano vulgar de su tiempo —muchos de origen español— Giambattista Vico cita este como ejemplo : « Aborrimento del vuoto ». Textualmente « aburrimiento del vacío ». Se trata allí, a no dudarlo, del horror al vacío, puesto que aborrecer (de ab horreo), más que odio, significa miedo, terror. » (p.128)

« Tenía razón Vico. Esta expresión, aborrimento del vuoto, posee una enorme carga metafísica. Porque si llegaran a suspenderse los afanes del mundo, es el horror a la nada, al sin-sentido, lo que nos hará huir nuevamente en pos de ellos.

 » En resumen : la existencia humana se ha inventado una inquietante estratagema para huir del vacío, estratagema que consiste en no hacer jamás cuentas con el presente ; en romper permanentemente con él : proyectando, calculando, ocupándonos de lo que está por delante.

 » (…) el empezar aburrirse nos permite volver rápidamente a nuestras preocupaciones cotidianas, éstas nos están protegiendo (…) de la presencia de ese vacío que nos horroriza : del aburrimiento mismo. »    (p.131)

« De esta manera, el aburrimiento no llega jamás a ser ; como un fantasma, está siempre rondándonos (…) este aburrimiento es evasión del presente, aversión a él, el pasa-tiempo (le divertissement, de Pascal, la evagatio, de Santo Tomás), en cuanto quema, en cuanto devora y mata al tiempo (…). » (p.132)

Fuente : Humberto Giannini, La « reflexión » cotidiana. Hacia una arqueología de la experiencia ; Ediciones Universidad Diego Portales, 2013, Santiago, Chile. Páginas 128, 131, 132.

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Soljénitsyne sur la presse

Prix Nobel de littérature, victime du système concentrationnaire soviétique et expulsé de l’URSS en 1974, Soljénitsyne était un personnage très controversé, politiquement conservateur et accusé d’antisémitisme ; il livre ici sans fioritures sa pensée sur la presse occidentale. A rapprocher de « Hesse sur les médias« , « Hesse sur les personnalités médiatiques, « Zweig sur guerre de 14-18« , « Ortega y Gasset sur le spécialiste barbare.


Extrait du discours d’Alexandre Soljénitsyne, à l’occasion du 327ème anniversaire de l’Université d’Harvard (8 juin 1978)

« La presse, aussi, bien sûr, jouit de la plus grande liberté. Mais pour quel usage ? (…) Quelle responsabilité s’exerce sur le journaliste, ou sur un journal, à l’encontre de son lectorat, ou de l’histoire ? S’ils ont trompé l’opinion publique en divulguant des informations erronées, ou de fausses conclusions, si même ils ont contribué à ce que des fautes soient commises au plus haut degré de l’Etat, avons-nous le souvenir d’un seul cas, où le dit journaliste ou le dit journal ait exprimé quelque regret ? Non, bien sûr, cela porterait préjudice aux ventes. De telles erreurs peut bien découler le pire pour une nation, le journaliste s’en tirera toujours. Etant donné que l’on a besoin d’une information crédible et immédiate, il devient obligatoire d’avoir recours aux conjectures, aux rumeurs, aux suppositions pour remplir les trous, et rien de tout cela ne sera jamais réfuté ; ces mensonges s’installent dans la mémoire du lecteur. Combien de jugements hâtifs, irréfléchis, superficiels et trompeurs sont ainsi émis quotidiennement, jetant le trouble chez le lecteur, et le laissant ensuite à lui-même ? La presse peut jouer le rôle d’opinion publique, ou la tromper. De la sorte, on verra des terroristes peints sous les traits de héros, des secrets d’Etat touchant à la sécurité du pays divulgués sur la place publique, ou encore des intrusions sans vergogne dans l’intimité de personnes connues, en vertu du slogan : « tout le monde a le droit de tout savoir». Mais c’est un slogan faux, fruit d’une époque fausse ; d’une bien plus grande valeur est ce droit confisqué, le droit des hommes de ne pas savoir, de ne pas voir leur âme divine étouffée sous les ragots, les stupidités, les paroles vaines. Une personne qui mène une vie pleine de travail et de sens n’a absolument pas besoin de ce flot pesant et incessant d’information. (…) Autre chose ne manquera pas de surprendre un observateur venu de l’Est totalitaire, avec sa presse rigoureusement univoque : on découvre un courant général d’idées privilégiées au sein de la presse occidentale dans son ensemble, une sorte d’esprit du temps, fait de critères de jugement reconnus par tous, d’intérêts communs, la somme de tout cela donnant le sentiment non d’une compétition mais d’une uniformité. Il existe peut-être une liberté sans limite pour la presse, mais certainement pas pour le lecteur : les journaux ne font que transmettre avec énergie et emphase toutes ces opinions qui ne vont pas trop ouvertement contredire ce courant dominant.

 

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Vassili Grossman sur la famine en URSS

« A ce moment là, il n’y avait plus ni chats ni chiens. On les avait tous tués. Ce n’était pourtant pas facile de les attraper. Ils avaient peur des hommes, ils vous regardaient avec des yeux sauvages. »

Ces extraits concernent la famine de 1932-1933 en Ukraine qui a fait des millions de victimes. Après la dékoulakisation, des réquisitions massives de blé ont laissé les paysans sans nourriture. Cela corrobore la description faite par Cholokhov concernant la situation à la même époque au Kouban, mais tranche avec ce qu’il a dit sur la dékoulakisation en Ukraine (voir « Cholokhov sur la famine en URSS » et la réflexion correspondante).

Voici des extraits choisis de l’ouvrage ‘Tout passe » de Vassili Grossman :

« On donna aussi l’ordre de saisir tout le fonds de semences. On cherchait partout le grain comme si ce n’était pas du blé mais des bombes,  ou des mitrailleuses. On faisait des trous dans la terre avec des baïonnettes, avec des baguettes de fusil, on creusait le sol des caves, on brisait les planchers, on fouillait les potagers. On cherchait le grain jusque dans les pots et les lessiveuses. (…) comme il n’y avait pas de silos, on déversait le grain à même le sol sous l’oeil vigilant des sentinelles. Le grain avait été trempé par la pluie d’automne. Quand vint l’hiver il était presque pourri. Le pouvoir soviétique n’avait pas assez de bâches pour abriter le blé des moujiks. » (p.950)

« Des pères et des mères voulaient sauver leurs enfants, mettre un peu de grain de côté, on leur disait : « Vous haïssez d’une haine féroce le pays du socialisme, vous voulez faire échouer le plan. Vous n’êtes que des fainéants, des suppôts des koulaks, des reptiles. — Non, nous ne voulons pas faire échouer le plan, nous voulons sauver nos enfant et nous sauver nous-mêmes. » (p.950)

« Vers la Noël, ils ont commencé à tuer leurs bêtes. Mais elles n’avaient plus que la peau et les os. Ils avaient déjà tué leurs poules, naturellement. Ils eurent vite fait de manger cette maigre viande. Il n’y avait plus une goutte de lait. Impossible de trouver le moindre oeuf dans tout leur village. Mais surtout, il n’y avait plus de pain. On leur avait pris leur blé jusqu’au dernier grain. Il ne pouvaient pas semer du blé au printemps : on leur avait pris tout leur fonds de semences ». (p. 951)

« A ce moment là, il n’y avait plus ni chats ni chiens. On les avait tous tués. Ce n’était pourtant pas facile de les attraper. Ils avaient peur des hommes, ils vous regardaient avec des yeux sauvages. On les faisait bouillir, ce n’étaient que nerfs et tendons. De leur tête on extrayait une sorte de gelée. » (p.953)

« Ah oui…Quand ils avaient encore quelques forces ils allaient à travers les champs jusqu’au chemin de fer. Pas à la gare, non, la garde ne les aurait pas laissé s’approcher, mais directement sur la voie ferrée. Et quand passait le rapide Kiev-Odessa, ils se mettaient à genoux et criaient : Du pain, du pain ! Certains tenaient à bout de bras leurs pitoyables enfants et, parfois, les gens leur jetaient des morceaux de pains et des rogatons. Puis le train s’éloignait en grondant (…) Mais ensuite des ordres furent données : quand un train traversait les régions affamées, la garde fermait les fenêtres et abaissait les rideaux ». (p.954)

Source : Vassily Grossman, Tout passe in Oeuvres, Robert Laffont, 2006. Pages 950, 951, 953 et 954.

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Cholokhov sur la Famine en URSS

Dans cette lettre adressée à Staline, Cholokhov s’insurge contre les réquisitions de blé dont étaient victimes les paysans du Kouban en 1933, région alors en pleine famine, résultat de la collectivisation forcée et des désordres qu’elle a enclenchés. Des propos qui rappellent ceux de Grossman sur la famine en Ukraine au même moment (voir citation « Vassili Grossman sur la famine en Ukraine« ). Pourtant Cholokhov semblait adhérer pour ce qui de l’Ukraine à la thèse officielle que la crise était due au sabotage des koulaks, les paysans dit « riches » (voir réflexion sur la citation « Canetti sur l’autodestruction« ).

Voire aussi des extraits de la réponse de Staline, dans la réflexion attachée.

« Camarade Staline ! « Le district Vechenski, comme beaucoup d’autres districts , n’a pas rempli le plan de livraison de céréales non pas à cause de quelque sabotage koulak, mais à cause de la mauvaise direction locale du Parti. (…) En décembre dernier ; le Comité régional du Parti a envoyé, pour « accélérer » la campagne de collecte, un plénipotentiaire,  le camarade Ovtchinnikov (…) qui a pris les mesures suivantes :

1) prendre toutes les céréales disponibles, y compris  » l’avance  » donnée par la direction des kolkhozes aux kolkhoziens pour l’ensemencement de la récolte future,

2) répartir les livraisons dues par chaque kolkhoze à l’Etat par foyer.

Quels ont été les résultats de ces mesures ? Quand ont commencé les réquisitions (…) les paysans se sont mis à cacher et à enterrer le blé. Maintenant, quelques mots sur les résultats chiffrés de toutes ces réquisitions. Céréales « trouvées » : 5930 quintaux. (…) Et voici quelques méthodes employées pour obtenir ces 593 tonnes

  La méthode du froid. (…) On déshabille le kolkhozien et on le met « au froid « , tout nu, dans un hangar. Souvent, on mettait les kolkhoziens « au froid » par brigades entières.

  La méthode du chaud. On arrose les pieds et les rebords des jupes des kolkhoziennes de kérosène et on y mettait le feu. Puis on l’éteignait. ….

  Dans le kolkhoze Napolovski, un certain Plotkine, plénipotentiaire du Comité de district, forçait les kolkhoziens interrogés à s’allonger sur un poêle chauffé à blanc, puis il les « déchauffait  » en les enfermant nus dans un hangar. (…)

  Dans le kolkhoze Lebiajenski, on alignait les kolkhoziens le long d’un mur et on simulait une exécution. (…) Je pourrais multiplier à l’infini ce genre d’exemples. Ce ne sont pas des « abus » , non, c’est la « méthode « courante de collecte du blé. (…)

S’il vous semble que ma lettre est digne de retenir l’attention du Comité central, envoyez donc ici de véritables communistes qui auront le courage de démasquer tous ceux qui ont porté dans ce district un coup mortel à la construction kolkhozienne. (…) Vous êtes notre seul espoir « 

Mikhaïl Cholokhov, lettre à Staline, 4 avril 1933 (Archives présidentielles, fonds 45 ; inventaire 1, dossier 827 ; f° 7-22)

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Canetti sur l’autodestruction

Cette citation de Canetti renvoie à des situations analogues signalées par Ortega y Gasset et par Cholokhov (voir réflexion attachée).

« Le prophète avait maintenant communiqué le dernier ordre. L’exécution en signifierait les derniers préparatifs pour les Xhosas, après quoi ils seraient dignes de recevoir l’aide d’une armée d’esprits. Ils devaient ne plus laisser en vie une seule bête de leurs troupeaux, et détruire tout le blé de leurs greniers. La perspective d’un avenir magnifique attendait ceux qui obéiraient. Au jour fixé il surgirait de la terre des troupeaux avec des milliers et des milliers de têtes, plus beaux que ceux qu’il avait fallu abattre, et les pâturages en seraient couverts à perte de vue. D’immenses champs de millet mûr et prêt à être consommé sortiraient du sol en un clin d’œil. Ce jour-là, les antiques héros de la tribu, les Grands et les Sages du passé, ressusciteraient et prendraient part aux joies des croyants. Souci et maladie disparaîtraient en même temps que les infirmités de l’âge, jeunesse et beauté seraient partagés par les morts ressuscités et les vivants affaiblis. Mais terrible serait le sort de ceux qui s’opposeraient à la volonté des esprits….. » (p.206)

« Le jour si longtemps attendu était enfin arrivé. Les Xhosas avaient veillé toute la nuit au comble de l’excitation. Ils s’attendaient à voir se lever deux soleils rouge sang sur les collines de l’est ; c’est alors que le ciel s’écroulerait fracassant leurs ennemis. A demi morts de faim ils passèrent la nuit dans une joie sauvage. Enfin, le soleil se leva comme d’habitude, un seul soleil, et leur cœur les abandonna. Ils ne perdirent pas espoir tout de suite ; peut-être avait-on voulu parler du midi de ce jour, quand le soleil serait au zénith ; et comme à midi rien ne se passait, ils mirent leur espoir dans le coucher du soleil. Mais le soleil se coucha, tout était fini. » (p.207)

« L’année 1857 vit la population de la partie britannique du pays xhosa passer de 105 mille à 37 mille âmes : il en avait périt 68 mille. » (p.208)

Source : Elias Canetti, Masse et puissance, Gallimard 2004. Pages 206, 207 et 208.

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Politique Industrielle sous la Monarchie

Voici deux citations d’Henry IV et de Louis XIV. Pour le contexte voir la réflexion attachée.

Lettre de Henri IV à Sully (1607)

 Mon Amy, vous avez assez de fois veu les poursuites que les tapissiers flamands ont faites pour estre satisfaits de ce que leur avait esté promis pour leur établissement en ce royaume : de quoy ayant, par une dernière fois, traité en la présence de vous et de M. le garde des sceaux, je me résolus de leur faire bailler cent mille livres ; mais ils sont toujours sur leurs premières plaintes s’ils n’en sont pas payez. C’est pourquoi je vous fait ce mot pour vous dire que j’ay un extrême désir de les conserver, et pour que cela despend du tout du payement de ladite somme, vous les ferez incontinent dresser, en sorte qu’ils n’ayent plus de sujet de retourner à moy ; car autrement je considère bien qu’ils ne pourraient pas subsister, et que, par leur ruine, je perdrais tout ce que j’ay fait jusques à maintenant pour les attirer ici et les conserver. Faites-les donc payer, puisque c’est ma volonté, et sur ce, Dieu vous ait, mon Amy, en sa sainte et digne garde ».

Louis XIV : Extraits de l’Edit Royal créant la manufacture des Gobelins (novembre 1667)

« ……L’affection que nous avons pour rendre le commerce et les manufactures florissantes dans nostre royaume nous a fait donner nos premiers soins, après la conclusion de la paix générale, pour les rétablir et pour rendre les établissements plus immuables en leur fixant un lieu commode et certain ; nous aurions fait acquérir de nos deniers l’hostel des Gobelins et plusieurs maisons adjacentes, fait rechercher les peintres de la plus grande réputation, des tapissiers, des sculpteurs, des orfèvres, des ébénistes, et d’autres ouvriers plus habiles en toutes sortes d’arts et mestiers, que nous aurions logés, donné des appartements à chacun d’entre eux et accordé des privilèges et avantages ».

« (…..) nous avons faict et faisons très-expresses inhibitions et deffenses à tous marchands et autres personnes de quelque qualité et condition qu’ils soyent, d’achepter ny faire parvenir des pays étrangers des tapisseries confisquées, etc., etc. »

Source : TURGAN, Les grandes Usines de France, Librairie Nouvelle, Paris (ouvrage ancien sans date) ; pages 11 et 15.

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