Freud sur liberté, sécurité et culture

« Homo homini lupus ; qui donc, d’après toutes les expériences de la vie et de l’histoire, a le courage de contester cette maxime ? »

guerre SOUSA LOPES

Les propos de Freud sur le besoin de réprimer la liberté individuelle pour rendre possible la vie en société sont similaires à ceux de Hobbes. Il va, comme ce dernier, jusqu’à citer la phrase de Plaute : « l’homme est un loup pour l’homme ». Sauf que Freud s’appuie sur une théorie psychanalytique des pulsions humaines, là où Hobbes se contente de faire allusion à un hypothétique « état de nature ».

Voir aussi Hobbes sur sécurité et liberté, Freud sur la guerre, Ricoeur sur la violence.


 » La part de réalité effective cachée (…) c’est que l’homme n’est pas un être doux, en besoin d’amour, qui serait tout au plus en mesure de se défendre quand il est attaqué, mais qu’au contraire il compte aussi à juste titre parmi ses aptitudes pulsionnelles une très forte part de penchant à l’agression. En conséquence de quoi, le prochain n’est pas seulement pour lui un aide et un objet sexuel possibles, mais aussi une tentation, celle de satisfaire en lui son agression, d’exploiter sans dédommagement sa force de travail, de l’utiliser sexuellement sans son consentement, de s’approprier de ce qu’il possède, de l’humilier, de lui causer des douleurs, de le martyriser et de le tuer. Homo homini lupus ; qui donc, d’après toutes les expériences de la vie et de l’histoire, a le courage de contester cette maxime ? » (p. 297-298)

« La vie en commun des hommes n’est rendue possible que si se trouve réunie une majorité qui est plus forte que chaque individu et qui garde sa cohésion face à chaque individu. La puissance de cette communauté s’oppose maintenant en tant que « droit » à la puissance de l’individu qui est condamnée en tant que « violence brute ». Ce remplacement de la puissance de l’individu par celle de la communauté est le pas culturel décisif. Son essence consiste en ce que les membres de la communauté se limitent dans leur possibilités de satisfaction, alors que l’individu isolé ne connaissait pas de limite de ce genre ». (p.282)

Source : Sigmung Freud, Le malaise dans la culture in Oeuvres Complètes, tome XVIII, PUF, 2006. Pages 282 et 297-298.

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Hobbes sur sécurité et liberté

 » (…) pendant le temps où les hommes vivent sans un pouvoir commun qui les maintienne tous dans la peur, ils sont dans cette condition qu’on appelle guerre, et cette guerre est telle qu’elle est celle de tout homme contre tout homme. »

TuyauxQuel équilibre entre sécurité et liberté individuelle ? Question de grande acuité par les temps qui courent. D’après le philosophe anglais du XVIIè siècle Thomas Hobbes, l’insécurité vient de expression libre, sans empêchements, de la nature humaine elle-même. Pour en sortir les hommes doivent donc volontairement renoncer à la liberté de se gouverner eux-mêmes au profit d’un Etat aux pouvoirs absolus -le Léviathan- qui, en échange, leur garantirait sécurité, protection et paix.

Thomas Hobbes a publié Le Léviathan dans un contexte d’affrontements politiques et religieux en Angleterre. Dans son effroi, il avait choisi de s’exiler à Paris, où il est resté pendant onze ans, ne rentrant en Angleterre qu’après la fin de la guerre civile de 1648-49 et la décapitation du roi Charles Ier.

Les extraits ci-après reproduisent le raisonnement de Hobbes, qui va de l’égalité naturelle des hommes et de leur égoïsme, à la guerre de chacun contre chacun qui résulterait de leur liberté d’action dans la poursuite de leurs intérêts particuliers, et à la nécessité du Léviathan pour garantir l’état de paix.

Voir aussi, Freud sur liberté, sécurité et culture,  Freud sur la guerre, Rosset sur religion et violence, Nietzsche sur jeunesse et explosivité.


« La Nature a fait les hommes si égaux pour ce qui est des facultés du corps et de l’esprit que, quoiqu’on puisse trouver parfois un homme manifestement plus fort corporellement, ou d’un esprit plus vif, cependant, tout compte fait, globalement, la différence entre un homme et un homme n’est pas si considérable qu’un homme particulier puisse de là revendiquer pour lui-même un avantage auquel un autre ne puisse prétendre aussi bien que lui. Car, pour ce qui est de la force du corps, le plus faible a assez de force pour tuer le plus fort, soit par une machination secrète, soit en s’unissant à d’autres qui sont menacés du même danger que lui-même. (Première partie, p.105)

« De cette égalité de capacité résulte une égalité d’espoir d’atteindre nos fins. Et c’est pourquoi si deux hommes désirent la même chose, dont ils ne peuvent cependant jouir tous les deux, ils deviennent ennemis ; et, pour atteindre leur but (principalement leur propre conservation, et quelquefois le seul plaisir qu’ils savourent), ils s’efforcent de se détruire ou de subjuguer l’un l’autre. » (Première partie, p.106)

« Le DROIT DE NATURE, (…), est la liberté que chaque homme a d’user de son propre pouvoir pour la préservation de sa propre nature, c’est-à-dire de sa propre vie ; et, par conséquent, de faire tout ce qu’il concevra, selon son jugement et sa raison propres, être le meilleur moyen pour cela. » (Première partie, p.111)

« Par là, il est manifeste que pendant le temps où les hommes vivent sans un pouvoir commun qui les maintienne tous dans la peur, ils sont dans cette condition qu’on appelle guerre, et cette guerre est telle qu’elle est celle de tout homme contre tout homme. Car la GUERRE ne consiste pas seulement dans la bataille, ou dans l’acte de se battre, mais dans un espace de temps où la volonté de combattre est suffisamment connue; » (Première partie, p.108)

« Et parce que la condition de l’homme (…) est d’être dans un état de guerre de chacun contre chacun, situation où chacun est gouverné par sa propre raison, et qu’il n’y a rien dont il ne puisse faire usage dans ce qui peut l’aider à préserver sa vie contre ses ennemis, il s’ensuit que, dans un tel état, tout homme a un droit sur toute chose, même sur le corps d’un autre homme. Et c’est pourquoi, aussi longtemps que ce droit naturel de tout homme sur toute chose perdure, aucun homme, si fort et si sage soit-il, ne peut être assuré de vivre le temps que la nature alloue ordinairement aux hommes. Et par conséquent, c’est un précepte, une règle générale de la raison, que tout homme doit s’efforcer à la paix, aussi longtemps qu’il a l’espoir de l’obtenir (…) » (Première partie, p.112)

« Car les lois de nature, comme la justice, l’équité, la modestie, la pitié, et, en résumé, faire aux autres comme nous voudrions qu’on nous fît, d’elles-mêmes, sans la terreur de quelque pouvoir qui les fasse observer, sont contraires à nos passions naturelles, qui nous portent à la partialité, à l’orgueil, à la vengeance, et à des comportements du même type. Et les conventions, sans l’épée, ne sont que des mots, et n’ont pas du tout de force pour mettre en sécurité un homme. C’est pourquoi, malgré les lois de nature (…), si aucun pouvoir n’est érigé, ou s’il n’est pas assez fort pour assurer notre sécurité, chacun se fiera – et pourra légitimement le faire – à sa propre force, à sa propre habileté, pour se garantir contre les autres hommes ». (Deuxième partie, p.6-7)

« La seule façon d’ériger un tel pouvoir commun, qui puisse être capable de défendre les hommes de l’invasion des étrangers, et des torts qu’ils peuvent se faire les uns aux autres, et par là assurer leur sécurité de telle sorte que, par leur propre industrie et par les fruits de la terre, ils puissent se nourrir et vivre satisfaits, est de rassembler tout leur pouvoir et toute leur force sur un seul homme, ou sur une seule assemblée d’hommes, qui puisse réduire toutes leurs volontés, à la majorité des voix, à une seule volonté; autant dire, désigner un homme, ou une assemblée d’hommes, pour tenir le rôle de leur personne; et que chacun reconnaisse comme sien (qu’il reconnaisse être l’auteur de) tout ce que celui qui ainsi tient le rôle de sa personne fera, ou fera faire, dans ces choses qui concernent la paix et la sécurité communes; que tous, en cela, soumettent leurs volontés d’individu à sa volonté, et leurs jugements à son jugement. C’est plus que consentir ou s’accorder : c’est une unité réelle de tous en une seule et même personne, réalisée par une convention de chacun avec chacun, de telle manière que c’est comme si chacun devait dire à chacun : J’autorise cet homme, ou cette assemblée d’hommes, j’abandonne mon droit de me gouverner à cet homme, ou à cette assemblée, à cette condition que tu lui abandonnes ton droit, et autorise toutes ses actions de la même manière. Cela fait, la multitude ainsi unie en une seule personne est appelée une RÉPUBLIQUE, en latin CIVITAS. C’est là la génération de ce grand LÉVIATHAN, ou plutôt, pour parler avec plus de déférence, de ce dieu mortel à qui nous devons, sous le Dieu immortel, notre paix et notre protection. » (Deuxième partie, p.10)

Source : Thomas Hobbes, Léviathan. Traité de la matière, de la forme et du pouvoir de la république ecclésiastique et civile, Édition Electronique, Université du Québec à Chicoutimi, 2003. Traduit de l’anglais par Philippe Folliot. Accéder à la Première partie ; Accéder à la Deuxième partie.

 

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Tocqueville sur les risques de la démocratie

« Je vois une foule d’hommes semblables et égaux, qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs (…) » 

trapecisteLa démocratie peut-elle engendrer du despotisme? C’est une question que s’était posé Tocqueville au XIXè siècle, tout en admettant que le mot despotisme appliqué à la démocratie était inadéquat. Faute de mieux, il a parlé d’un nouveau despotisme pour qualifier l’avenir possible, selon lui, de la démocratie. Il le décrit dans les extraits ci-après. A-t-il vu juste ? Il semble en tout cas qu’il a bien prévu certains traits des démocraties actuelles, même s’il ne pouvait, lui, imaginer à son époque leur exacerbation d’aujourd’hui par l’omniprésence du multimédia.

Voir aussi Tocqueville sur l’individualismeBesnier sur la « zombification« , Pascal sur le divertissement, Mann sur hypnotisme et volonté de décider.


« Je pense donc que l’espèce d’oppression dont les peuples démocratiques sont menacés ne ressemblera à rien de ce qui l’a précédée dans le monde ;  » (p.313)

« Je veux imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le monde : je vois une foule d’hommes semblables et égaux, qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils se remplissent l’âme. Chacun d’eux, retiré à l’écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres, ses enfants et ses amis particuliers forment pour lui toute l’espèce humaine ; quant au demeurant de ses concitoyens, il est à côté d’eux ; mais il ne les voit pas ; il les touche mais ne les sent point ; il n’existe qu’en lui-même et pour lui seul, et s’il lui reste encore une famille, on peut dire du moins qu’il n’a plus de patrie.

« Au-dessus de ceux-là, s’élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d’assurer leurs jouissances, et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle, si, comme elle, il avait comme objet de préparer les hommes à l’âge viril ; mais il ne cherche, au contraire, qu’à les fixer irrévocablement dans l’enfance ; il aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu’ils ne songent qu’à se réjouir. Il travaille volontiers à leur bonheur ; mais il veut en être l’unique agent et le seul arbitre ; il pourvoit à leur sécurité, prévoit et assure leurs besoins, facilité leurs plaisirs, conduit leurs principales affaires, dirige leur industrie, règle leurs successions, divise leurs héritages ; que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ?

« C’est ainsi que tous les jours il rend moins utile et plus rare l’emploi du libre arbitre ; qu’il renferme l’action de la volonté dans un plus petit espace, et dérobe peu à peu à chaque citoyen jusqu’à l’usage de lui-même. » (p.313-314)

« J’ai toujours cru que cette sorte de servitude, réglée, douce et paisible, dont je viens de faire le tableau, pourrait se combiner mieux qu’on ne l’imagine avec quelques unes des formes extérieures de la liberté, et qu’il ne lui serait pas impossible de s’établir à l’ombre même de la souveraineté du peuple. » (p.315)

« On ne peut pas dire d’une manière générale que le plus grand danger de nos jours soit (…) l’anarchie ou le despotisme. L’un et l’autre est également à craindre, et peut sortir aussi aisément d’une seule et même cause qui est l’apathie générale, fruit de l’individualisme ;  » (p.360, note à la page 319)

« Ce qu’il est important de combattre, c’est donc bien moins l’anarchie ou le despotisme que l’apathie qui peut créer presque indifféremment l’un ou autre. »(p.360, note à la page 319)

Source : Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, Tome 4,  Pagnerre Editeur, Cinquième Edition, 1848.                                                              Accessible dans Gallica : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k37010k/f3.image.r=

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Mann sur la volonté de décider

 » (…) les détails grotesques étaient suivis par un public hilare qui hochait la tête, applaudissait, se frappait les genoux, visiblement sous l’empire d’une personnalité puissante et sûre ».

maison enchantéeDes situations qui nous amènent à renoncer à notre volonté de décider ? Un spectacle d’hypnotisme, par exemple, semble répondre Thomas Mann dans sa nouvelle « Mario et le magicien » publiée en 1930. L’hypnotiseur Cipolla jouissant de son pouvoir asservit et souille son public dans une station balnéaire italienne. Mais en réalité Mann nous montre ici l’emprise qu’une personnalité forte peut exercer sur la masse. Une parabole en fait du fascisme, inspirée par un séjour familial dans l’Italie Mussolinienne.  

Très troublant pour un regard actuel le fait que Mann ait choisi un spectacle -le divertissement donc- pour cette allégorie. Le divertissement, quand il devient omniprésent comme de nos jours, peut-il suffire à écraser la volonté des individus?

Voir aussi : Pascal sur le divertissement, Shopenhauer sur la liberté du vouloir, Besnier sur la « zombification », Gianinni sobre el aburrimiento, Baudelaire sur l’ennui.


« Il choisissait dans un jeu, sans les montrer, trois cartes qu’il cachait dans la poche intérieure de sa redingote ; il présentait le second jeu à quelqu’un, et la personne en tirait précisément les trois mêmes cartes, — pas toujours parfaitement les mêmes, mais dans la plupart des cas, Cipolla triomphait lorsqu’il montrait au public ses trois cartons. Il remerciait alors négligemment des applaudissements par lesquels on reconnaissait, bon gré, mal gré,  la force dont il faisait preuve. Un jeune homme du premier rang, à notre gauche, Italien au visage fièrement taillé, se leva et se déclara décidé à choisir clairement selon sa volonté et à résister consciemment à toute influence de quelque sorte qu’elle fût. Quelle issue Cipolla prévoyait dans ces conditions ? « Vous aller ainsi, répondit le cavalière, me rendre ma tâche un peu plus difficile. Votre résistance ne changera rien au résultat. La liberté existe, la volonté existe, mais la liberté de volonté n’existe pas, car la volonté qui tend à sa liberté frappe dans le vide. Vous êtes libre de tirer ou ne pas tirer la carte. Mais si vous tirez, vous tirerez la bonne, d’autant plus sûrement que vous chercherez davantage à agir librement ». » (p.93-94)

 « Au diable de savoir dans quelle mesure Cipolla soutenait ses dons naturels par des trucs mécaniques et des petits tours de prestidigitation. Si on admet un tel amalgame, la curiosité de tous les spectateurs s’accordait à jouir d’un divertissement extraordinaire et à reconnaitre un talent professionnel que personne ne niait. Lavora bene ! Nous entendîmes plusieurs fois cette constatation dans notre voisinage, ici et là ; elle révélait la victoire de l’équité objective sur l’antipathie et la silencieuse révolte. » (p.94)

 » (…) on assista à tout ce que peut offrir ce domaine inquiétant de la nature, depuis les phénomènes les plus insignifiants jusqu’aux plus monstrueux ; les détails grotesques étaient suivis par un public hilare qui hochait la tête, applaudissait, se frappait les genoux, visiblement sous l’empire d’une personnalité puissante et sûre ; toutefois, à ce qu’il me parut, du moins, cela n’allait pas sans un sentiment d’aversion pour ce qu’il y avait de déshonorant pour chacun et pour tous, dans les triomphes de Cipolla. » (p.101)

Source : Thomas Mann, Mario et le magicien, GF Flammarion, 1983. Pages 93, 94, 101.

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Shopenhauer sur la liberté du vouloir

« Or c’est précisément la liberté du vouloir qui est aujourd’hui en question… »

Je fais comme je veux ! C’est mon choix ! Mots qui résonnent avec éclat dans la sphère médiatique et dans notre quotidien, comme s’ils étaient l’évidence même. Exclamations que l’on peut juger à l’aune de l’interrogation de Shopenhauer sur le libre arbitre. Le pouvoir vouloir existe-t’il ?

« Le concept empirique de la liberté nous autorise à dire : « Je suis libre si je peux faire ce que je veux ; mais ces mots « ce que je veux » présupposent déjà l’existence de la liberté morale. Or c’est précisément la liberté du vouloir qui est maintenant en question, et il faudrait en conséquence que le problème se posât comme suit : « Peux-tu aussi vouloir ce que tu veux ? » — ce qui provient de la question de savoir si la volonté dépend de la volonté d’un autre qui te précède. Admettons que l’on répondît par l’affirmative à cette question : aussitôt il s’en présenterait une autre : « Peux-tu aussi vouloir ce que tu veux ? » et l’on régresserait ainsi à l’infini en remontant toujours la série des volontés, et en considérant chacune d’elles comme dépendante d’une volonté antérieure ou plus profonde, sans jamais parvenir sur cette voie à une volonté primitive, susceptible d’être considérée comme exempte de toute relation et de toute dépendance. Si d’autre part, la nécessité de trouver un point fixe nous faisait admettre une pareille volonté (…) nous pourrions choisir pour volonté libre et inconditionnée la première de la série (…) ce qui ramerait la question à cette autre fort simple : « Peux-tu vouloir ? » Suffit-il de répondre affirmativement pour trancher le problème du libre arbitre ? Mais c’est là précisément ce qui est en question, et qui n’est pas réglé. (p.26)

« (…) il a fallu à fin de pouvoir néanmoins étendre à la volonté le concept de liberté, le modifier (…) Ceci arriva lorsqu’on pensa le concept de liberté seulement en général en l’absence de toute nécessité. » (p.26-27)

« On entend par nécessaire tout ce qui résulte d’une raison suffisante donnée. » (p.27)

« Il faudrait donc que la liberté, dont le caractère essentiel est l’absence de toute nécessité, fût l’indépendance absolue à l’égard de toute cause, c’est-à-dire la contingence et le hasard absolus. » (p.28)

« Quoi qu’il en soit, le mot libre signifie ce qui n’est nécessaire sous aucun rapport, c’est-à-dire ce qui est indépendant de toute raison suffisante. » (p.28).

« Une volonté libre, avons-nous dit, serait une volonté qui ne serait déterminée par aucune raison, c’est-à-dire par rien, puisque toute chose qui en détermine une autre est une raison ou une cause ; une volonté dont les manifestations individuelles (volontés) jailliraient au hasard et sans sollicitation aucune, indépendamment de toute liaison causale et de toute règle logique (…)  Toutefois, il ne manque pas un terme technique pour désigner cette notion si obscure et si difficile à concevoir : on l’appelle liberté d’indifférence. » (p.29)

« L’hypothèse d’une pareille liberté d’indifférence entraîne immédiatement l’affirmation suivante (…) : à savoir qu’un homme placé dans des circonstances données et complètement déterminées par rapport à lui, peut, en vertu de cette liberté d’indifférence agir de deux façons diamétralement  opposées. » (p.30)

Voir aussi Kafka sur lui-même.

Source : Arthur Shopenhauer, Essai sur le libre arbitre, Rivages poche, 2011.

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