Baudelaire sur l’ennui

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« Il ferait de la terre volontiers un débris et dans un bâillement avalerait le monde »

Traces a publié des citations sur l’ennui de Pascal, Besnier et Giannini. En voici une sous la plume de Charles Baudelaire. Voir aussi Mann sur la volonté de décider.


« Mais parmi les chacals, les panthères, les lices,

Les singes, les scorpions, les vautours, les serpents,

Les monstres glapissants, hurlants, grognants, rampants,

Dans la ménagerie infâme de nos vices,

Il en est un plus laid, plus méchant, plus immonde !

Quoiqu’il ne pousse ni grands gestes ni grands cris,

Il ferait de la terre volontiers un débris

Et dans un bâillement avalerait le monde ;

C’est l’Ennui ! ­— l’œil chargé d’un pleur involontaire,

Il rêve d’échafauds en fumant son houka.

Tu le connais, lecteur, ce monstre délicat,

— Hypocrite lecteur, — mon semblable,— mon frère ! »

 

Source : Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, nfr/Gallimard, 1973. Page 32

 

 

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Pascal sur le divertissement

« L’homme, quelque plein de tristesse qu’il soit, si on peut gagner sur lui de le faire entrer dans quelque divertissement, le voilà heureux (…) »

En ces temps d’omniprésence d’écrans et de jeux dans notre quotidien, où les jeux de stade peuvent faire communier au même instant des milliards d’humains dans une unique ola planétaire, les propos de Pascal sur le divertissement sont d’une étrange actualité. En voici quelques extraits.

Voir aussi :  Besnier sur la « zombification », Giannini sobre el aburrimiento« , Mann sur la volonté de décider et Baudelaire sur l’ennui.


« D’où vient que cet homme, qui a perdu il y a peu de mois son fils unique, et qui, accablé de procès et de querelles, était ce matin si troublé, n’y pense plus maintenant ? Ne vous en étonnez point : il est tout occupé à voir par où passera ce sanglier que les chiens poursuivent avec tant d’ardeur depuis six heures. Il n’en faut pas davantage. L’homme, quelque plein de tristesse qu’il soit, si on peut gagner sur lui de le faire entrer dans quelque divertissement, le voilà heureux pendant ce temps là ; et l’homme quelque heureux qu’il soit, s’il n’est diverti et occupé par quelque passion ou quelque amusement qui empêche l’ennui de se répandre, sera bientôt chagrin et malheureux. Sans divertissement il n’y a point de joie, avec divertissement il n’y a point de tristesse. » (p.41-42)

« Qui ne voit pas la vanité du monde est bien vain lui-même. Aussi qui ne la voit, excepté de jeunes gens qui sont tous dans le bruit, dans le divertissement, dans la pensée de l’avenir ? Mais ôtez leur divertissement, vous les verrez se sécher d’ennui ; ils sentent alors leur néant sans le connaître : car c’est bien être malheureux que d’être dans une tristesse insupportable, aussitôt qu’on est réduit à se considérer et à n’être point diverti. » (p.42)

« Ainsi s’écoule toute la vie. On cherche le repos en combattant quelques obstacles; et si on les a surmontés, le repos devient insupportable; car, ou l’on pense aux misères qu’on a, ou à celles qui nous menacent. Et quand on se verrait même assez à l’abri de toutes parts, l’ennui, de son autorité privée, ne laisserait pas de sortir au fond du coeur, où il a des racines naturelles, et de remplir l’esprit de son venin. » (p.40-41)

Source : Blaise Pascal, Pensées et opuscules, Nouveaux ClassiquesHatier, 1966. Textes choisis par Ferdinand Duviard. Pages 40,41,42.

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Winnicott sur créativité et soumission

« Tout compte fait, notre théorie présuppose que vivre créativement témoigne d’une bonne santé et que la soumission constitue, elle, une mauvaise base de l’existence. »

Donald W. Winnicott oppose ici deux façons de vivre, la vie créative et la vie soumise, dont la signification apparaît dans les citations ci-après. La vie soumise aurait selon lui une composante pathologique. Il y a peut-être ici une analogie à faire  avec le « démon du midi » qui frappait les moines du désert ou encore, plus près de nous, avec l’ennui qui advient, selon le philosophe chilien Humberto Giannini (voir « Giannini sobre el aburrimiento » et la réflexion attachée). Voir aussi « Winnicott sur la frustration du jeune enfant« .


« Le lecteur consentira, je l’espère, à envisager la créativité dans son acception la plus large, sans l’enfermer dans les limites d’une création réussie ou reconnue(…) » p.127

« Il s’agit avant tout d’un mode créatif de perception qui donne à l’individu le sentiment que la vie vaut la peine d’être vécue ; ce qui s’oppose à un tel mode de perception, c’est une relation de complaisance soumise envers la réalité extérieure : le monde et tous ces éléments sont alors reconnus mais seulement comme étant ce à quoi il faut s’ajuster et s’adapter. La soumission entraîne chez l’individu un sentiment de futilité, associé à l’idée que rien n’a d’importance. » p.127.

« Cette seconde manière de vivre dans le monde doit être tenue pour une maladie, au sens psychiatrique du terme. Tout compte fait, notre théorie présuppose que vivre créativement témoigne d’une bonne santé et que la soumission constitue, elle, une mauvaise base de l’existence. » p.127-128.

Source : D.W. Winnicott, « Jeu et réalité », Folio, 2003. Pages 127-128.

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Giannini sobre el Aburrimiento

porte cave« (…) aburrimiento…  aborrecimiento…  ab horreo…  horror. »

Según Humberto Giannini el aburrimiento como horror de sí lleva al hombre moderno a una fuga permanente. A huir del aburrimiento para no encontrarse con su propio vacío. Nuestro aburrimiento tendría un antecedente « arqueológico » en la acedía, en « el demonio de mediodía », del que se creía eran víctimas los monjes del desierto a comienzos de la era cristiana y más tarde durante la Edad Media. A su vez, « el demonio de mediodía » no deja de recordarnos la « litost » de Kundera, la « sumisión » de Winnicot o el « taedium vitae » de la Roma antigua. Ver más abajo una reflexión sobre las citas de Giannini. Ver también « Pascal sur le divertissement » , « Besnier sur la zombification« , « Baudelaire sur l’ennui« , Mann sur la liberté de décider.

« (…) aburrimiento…  aborrecimiento…  ab horreo…  horror. El parentezco entre estos términos lo encontramos casualmente en un texto del siglo XVIII. Al enumerar algunos giros de contenido metafísico que circulaban en el italiano vulgar de su tiempo —muchos de origen español— Giambattista Vico cita este como ejemplo : « Aborrimento del vuoto ». Textualmente « aburrimiento del vacío ». Se trata allí, a no dudarlo, del horror al vacío, puesto que aborrecer (de ab horreo), más que odio, significa miedo, terror. » (p.128)

« Tenía razón Vico. Esta expresión, aborrimento del vuoto, posee una enorme carga metafísica. Porque si llegaran a suspenderse los afanes del mundo, es el horror a la nada, al sin-sentido, lo que nos hará huir nuevamente en pos de ellos.

 » En resumen : la existencia humana se ha inventado una inquietante estratagema para huir del vacío, estratagema que consiste en no hacer jamás cuentas con el presente ; en romper permanentemente con él : proyectando, calculando, ocupándonos de lo que está por delante.

 » (…) el empezar aburrirse nos permite volver rápidamente a nuestras preocupaciones cotidianas, éstas nos están protegiendo (…) de la presencia de ese vacío que nos horroriza : del aburrimiento mismo. »    (p.131)

« De esta manera, el aburrimiento no llega jamás a ser ; como un fantasma, está siempre rondándonos (…) este aburrimiento es evasión del presente, aversión a él, el pasa-tiempo (le divertissement, de Pascal, la evagatio, de Santo Tomás), en cuanto quema, en cuanto devora y mata al tiempo (…). » (p.132)

Fuente : Humberto Giannini, La « reflexión » cotidiana. Hacia una arqueología de la experiencia ; Ediciones Universidad Diego Portales, 2013, Santiago, Chile. Páginas 128, 131, 132.

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