Arendt sur la culture de masse

« Cela ne veut pas dire que la culture se répande dans les masses, mais que la culture se trouve détruite pour engendrer le loisir. »

Selfie con Monalisa

Utiliser les oeuvres d’art comme matériau pour fabriquer des produits de loisir, c’est là, selon Hannah Arendt, le danger que représente pour la culture la société des masses. Elle écrivait cela dans les années 1950. Mais depuis l’industrie des loisirs semble avoir franchit un nouveau cap : non seulement elle rend consommables les oeuvres, via simplification ; elle rend désormais l’individu capable par lui-même de produire ses objets de loisir, en utilisant comme matière première les oeuvres d’art.

Voir aussi Besnier sur la zombification, Pascal sur le divertissement, Baudelaire sur l’ennui, Bukowski sur la littérature actuelle.


« Dans cette situation, ceux qui produisent pour les mass media pillent le domaine entier de la culture passée et présente, dans l’espoir de trouver un matériau approprié. Ce matériau, qui plus est, ne peut être présenté tel quel ; il faut le modifier pour qu’il devienne loisir, il faut le préparer pour qu’il soit facile à consommer. » (p.265)

« Mais leur nature est atteinte quand ces objets eux-mêmes sont modifiés — réécrits, condensés, digérées, réduits à l’état de pacotille pour la reproduction ou la mise en images. Cela ne veut pas dire que la culture se répande dans les masses, mais que la culture se trouve détruite pour engendrer le loisir (…) Le résultat (…) une pourriture, et ses actifs promoteurs (…) une sorte particulière d’intellectuels, souvent bien lus et informés dont la fonction exclusive est d’organiser, diffuser et modifier des objets culturels en vue de persuader les masses qu’Hamlet peut être aussi divertissant que My Fair lady et, pourquoi pas, tout aussi éducatif. » Bien de grands auteurs du passé ont survécu à des siècles d’oubli et d’abandon, mais c’est une question pendante de savoir s’ils seront capables de survivre à une version divertissante de ce qu’ils ont à dire. »  (p.266)

Source : Hannah Arendt, La crise de la culture, Folio/Essais, 2002. Pages 265 et 266.

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Einstein sur la guerre

« comment est-il possible que la (…) minorité puisse mettre au service de ses désirs la masse du peuple qui, dans une guerre, ne peut que souffrir et perdre ? »

Sousa Lopez guerre 1

Voici quelques propos d’Albert Einstein dans son échange épistolaire avec Sigmund Freud au sujet des causes de la guerre. Un échange suscité et publié par la Société des Nations en 1933, sous le titre « Pourquoi la guerre ? » Connu pour son pacifisme, Einstein, sollicité d’abord, a suggéré le nom de Freud comme contrepartie ; il lui posera la question de la canalisation des pulsions humaines de haine et de destruction  (voir des extraits de la réponse de Freud dans « Freud sur la guerre« ).

Ici on a retenu les raisons qui expliquent d’après Einstein les échecs du pacifisme. A comparer avec les citations « Zweig sur la guerre de 14-18« .

Voir aussi : Ricoeur sur la violence, Nietzsche sur jeunesse et explosivité.


« Je pense ici principalement à la présence, au sein de chaque peuple, d’un petit groupe néanmoins résolu, inaccessible aux considérations et aux inhibitions sociales, formé d’hommes pour qui guerre, fabrication et commerce d’armes ne sont rien d’autre qu’une occasion de retirer des avantages personnels, d’élargir le domaine personnel de leur puissance. » (p.67)

« Il se pose aussitôt cette question : comment est-il possible que la susdite minorité puisse mettre au service de ses désirs la masse du peuple qui, dans une guerre, ne peut que souffrir et perdre ? (…) Ici la réponse immédiate semble être : la minorité des dominants, à tel ou tel moment, tient avant tout l’école, la presse et le plus souvent aussi les organisations religieuses. Par ces moyens, elle domine et dirige les sentiments de la grande masse et en fait son docile instrument. » (p.67)

 » (…) Comment est-il possible que la masse se laisse enflammer par lesdits moyens jusqu’à la frénésie et au sacrifice de soi ? La réponse ne peut qu’être : en l’homme vit un désir de haïr et d’anéantir. Cette prédisposition (…) peut être réveillée avec une relative facilité et s’intensifier en psychose de masse. »(p.67)

« Et ici je suis bien loin de penser uniquement à ceux qu’on appelle incultes. D’après mes expériences dans la vie, c’est bien plutôt précisément ce qu’on appelle « intelligence » qui succombe le plus facilement aux fatales suggestions de masse, parce qu’elle n’a pas coutume de puiser directement dans l’expérience de vie, mais que la façon la plus commode et la plus achevée de la capter passe par la voie du papier imprimé. »(p.67-68)

Source : Lettre d’Einstein à Freud, in Sigmund Freud « Oeuvres complètes« , t.XIX, Presses Universitaires de France, 2004. Pages 67 et 68.

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Zweig sur la Guerre de 14-18

Il a connu les deux guerres mondiales et la montée du nazisme, des « ébranlements volcaniques » qui en finirent avec monde où il avait grandi. Exilé, devenu apatride, coupé de toutes ses racines, de tout passé et de tout futur, Stefan Zweig se suicide avec sa femme Lotte en 1942, au Brésil. La veille il envoie à l’éditeur le manuscrit de ses mémoires, écrits pour transmettre « ne serait-ce qu’une parcelle de vérité, vestige de cet édifice effondré. »

De la guerre il dira que son ombre ne l’a jamais quitté, qu’elle a voilé de deuil chacune de ses pensées, de jour et de nuit. On présente ici quelques citations sur la guerre de 14-18, notamment sur le rôle joué par des artistes et des intellectuels dans la propagande. Des propos qui résonnent avec ceux écrits en 1942 par Albert Einstein dans sa lettre à Sigmund Freud. Voir citation « Einstein sur la guerre« .

 

« Le lendemain en Autriche ! Dans chaque station étaient collées les affiches qui avaient annoncé la mobilisation générale. Les trains se remplissaient de recrues qui allaient prendre leur service, des drapeaux flottaient. À Vienne la musique résonnait et je trouvai toute la ville en délire. La première crainte qu’inspirait la guerre que personne n’avait voulu, ni le peuple, ni le gouvernement, cette guerre qui avait glissé contre leur propre intention des mains maladroites des diplomates qui en jouaient et bluffaient, s’était retournée en subit enthousiasme. Des cortèges se formaient dans les rues partout s’élevaient soudain des drapeaux, s’agitaient des rubans, montaient des musiques; les jeunes recrues s’avançaient en triomphe, visages rayonnants, parce qu’on poussait des cris d’allégresse sur leur passage à eux, les petites gens de la vie quotidienne que personne, d’habitude, ne remarquait ni ne fêtait. » (p.(264-265).

« Cette houle se répandit si puissamment (…), elle arracha des ténèbres de l’inconscient, pour les tirer au jour, les tendances obscures, les instincts primitifs de la bête humaine, ce que Freud, avec sa profondeur de vues, appelait le « dégoût de la culture », le besoin de s’évader une fois pour toutes du monde bourgeois (…) et d’assouvir les instincts sanguinaires immémoriaux. » (p.266)

« Et puis en 1914, après un demi-siècle de paix, que savaient de la guerre les grandes masses? Elles ne la connaissaient pas. Il ne leur était guère arrivé d’y penser. Elle restait une légende et c’était justement cet éloignement qui l’avait faite héroïque et romantique. » (p.268)

 » (…) prémuni comme je l’étais contre cet accès de fièvre de la première heure, je demeurais bien résolu à ne point me laisser ébranler dans mes convictions qu’une union de l’Europe était nécessaire, par une lutte fratricide qu’avaient déchaînée des diplomates maladroits et des marchands de munitions brutaux. » (p.271)

« Presque tous les écrivains allemands (…) se croyaient obligés, comme au temps des anciens Germains, de jouer les bardes et d’enflammer de leur chants et de leurs runes les combattants qui allaient au front pour les encourager à bien mourir (…) Les savants étaient pire. Les philosophes ne connaissaient soudain plus d’autre sagesse que de déclarer la guerre un « bain d’acier » bienfaisant (…) À leurs côtés se rangeaient les médecins qui vantaient leurs prothèses avec une telle emphase qu’on avait presque envie de se faire amputer une jambe pour remplacer le membre sain par un appareil artificiel. Les prêtres de toutes les confessions ne voulaient pas rester en retrait et mêlaient leurs voix au chœur (…) et cependant tous ces hommes étaient les mêmes dont nous admirions encore une semaine, un mois auparavant, la raison, la force créatrice, la dignité humaine (…) Plusieurs, à la vérité, sentirent bientôt sur leur langue la saveur amère du dégoût que leur inspirait leur propre parole, quand la mauvaise eau de vie du premier enthousiasme se fût évaporée. » (p.272-273)

« Or il est dans la nature humaine que des sentiments violents ne sauraient durer indéfiniment (…) et l’organisation militaire le sait. C’est pourquoi elle a besoin d’un aiguillonnement artificiel, d’un continuel doping de l’excitation, et ce travail de stimulation c’est aux intellectuels qu’il incombait, aux poètes, aux écrivains aux journalistes (…) Ils avaient battu le tambour de la haine et continuèrent de le battre jusqu’à ce que le plus impartial sentît ses oreilles tinter et son cœur frémir. Presque tous, en Allemagne, en France, en Italie, en Russie, en Belgique, servaient la propagande de guerre et par là même la folie, la haine collective, au lieu de la combattre. » (p.277)

Source : Stefan Zweig, Le monde d’hier, souvenirs d’un Européen, Le livre de poche, 2011.

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Ortega y Gasset sur le spécialiste barbare

« Ce n’est pas un savant, car il ignore complètement ce qui n’entre pas dans sa spécialité ; mais il n’est pas non plus un ignorant, car c’est un « homme de science » (…). »

Couleurs flutéesLa Révolte des Masses a été publié pour la première fois en 1930. Une époque de bouleversements politiques et d’engagements passionnels et militants, notamment autour du bolchevisme et du fascisme. L’ouvrage, qui devait aider à comprendre ce monde-là, monde d’hier, est cependant devenu un outil de compréhension du monde actuel. Les citations ci-dessous font en tout cas penser à un personnage actuel, que d’aucuns appellent « toutologues » : des spécialistes très qualifiés qui se répandent dans les médias sur des sujets qui débordent largement leurs domaines de compétences.

Elles résonnent avec la citation  de Hesse sur les personnalités médiatiques. Voir aussi Steffens sur l’excession du monde, Nietzsche sur les maîtres à penser, Maîtres du Talmud sur les maîtres.


« Ce n’est pas un savant, car il ignore complètement ce qui n’entre pas dans sa spécialité ; mais il n’est pas non plus un ignorant, car c’est un « homme de science » qui connaît très bien sa petite portion de l’univers. Nous dirons donc que c’est un savant-ignorant, chose extrêmement grave, puisque cela signifie que c’est un monsieur qui se comportera, dans toutes les questions qu’il ignore, non comme un ignorant, mais avec toute la pédanterie de quelqu’un qui, dans son domaine spécial, est un savant.

« C’est ainsi en effet que se comporte le spécialiste. En politique, en art, dans les usages sociaux, dans les autres sciences, il adoptera des attitudes de primitif, de véritable ignorant, mais il les adoptera avec énergie et suffisance, sans admettre —voilà bien le paradoxe— que ces domaines là puissent aussi avoir leur spécialistes. En le spécialisant la civilisation l’a rendu hermétique et satisfait à l’intérieur de ses propres limites ; mais cette même sensation intime de domination et de puissance le portera à vouloir dominer hors de sa spécialité. D’où il résulte que même dans ce cas qui représente le maximum de l’homme qualifié, et par conséquent le plus opposé à l’homme-masse, le spécialiste se comportera sans qualification, comme un homme-masse, et ceci dans presque toutes les sphères de la vie.

« Ceci n’est pas une vague remarque. Qui le veut peut observer la stupidité avec laquelle pensent, jugent et agissent aujourd’hui en politique, en art, en religion et dans les problèmes généraux de la vie et du monde les « hommes de science », et évidemment, à leur suite, les médecins, ingénieurs, financiers, professeurs, etc. » (p187-188)

Source : José Ortega y Gasset, La révolte des masses, Les belles lettres, 2011. Pages 187-188.

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Ortega y Gasset sur l’autodestruction

« Ces réjouissances se prolongèrent jusqu’à la complète destruction de ladite ville. Ce village, pour mieux se livrer à sa joie monarchique, se détruisit lui-même. Admirable Nijar, l’avenir est à toi ! »

Ortega y Gasset a prit le récit de l’autodestruction de Nijar d’un texte d’époque cité par Manuel Danvila dans le « Règne de Charles III » , tome II, p.10, note 2. Il présente des analogies avec celui décrit dans « Canetti sur l’autodestruction. »

20140125_123235_1« J’ai trouvé une amusante caricature de cette tendance à propter vitam, vitae perdere causas dans ce qui arriva à Nijar, village voisin d’Almería, lorsque Charles III fut proclamé roi le 13 septembre 1759. La proclamation se fit sur la grande place. « Sitôt après on demanda d’apporter à boire à toute cette grande affluence qui consomma 77 arrobes de vin et 4 outres d’eau-de-vie, dont les pernicieuses vapeurs chauffèrent de si belle manière les esprits que la foule se dirigea vers le Grenier Municipal avec des vivats répétés, y pénétra, jeta par les fenêtres tout le blé qui s’y trouvait et les 900 réaux du Trésor. De là ils passèrent à la Régie et commandèrent de jeter le tabac et l’argent de la Recette. Ils firent de même dans les boutiques, ordonnant, pour mieux corser la fête, de répandre tous les comestibles et liquides qui s’y trouvaient. L’état ecclésiastique y concouru vivement, puis, à grands cris, on incita les femmes afin qu’elles jetassent avec plus de générosité tout ce qu’elles avaient chez elles, ce qu’elles firent avec le plus complet désintéressement puisqu’il ne resta rien : pain, blé, orge, farine, chaudrons, mortiers et chaises. Ces réjouissances se prolongèrent jusqu’à la complète destruction de ladite ville. Ce village, pour mieux se livrer à sa joie monarchique, se détruisit lui-même. Admirable Nijar, l’avenir est à toi ! »

Source : Ortega y Gasset, La révolte des masses, Éditions Les Belles Lettres, 2011. Page 133, note 2.

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Cholokhov sur la Famine en URSS

Dans cette lettre adressée à Staline, Cholokhov s’insurge contre les réquisitions de blé dont étaient victimes les paysans du Kouban en 1933, région alors en pleine famine, résultat de la collectivisation forcée et des désordres qu’elle a enclenchés. Des propos qui rappellent ceux de Grossman sur la famine en Ukraine au même moment (voir citation « Vassili Grossman sur la famine en Ukraine« ). Pourtant Cholokhov semblait adhérer pour ce qui de l’Ukraine à la thèse officielle que la crise était due au sabotage des koulaks, les paysans dit « riches » (voir réflexion sur la citation « Canetti sur l’autodestruction« ).

Voire aussi des extraits de la réponse de Staline, dans la réflexion attachée.

« Camarade Staline ! « Le district Vechenski, comme beaucoup d’autres districts , n’a pas rempli le plan de livraison de céréales non pas à cause de quelque sabotage koulak, mais à cause de la mauvaise direction locale du Parti. (…) En décembre dernier ; le Comité régional du Parti a envoyé, pour « accélérer » la campagne de collecte, un plénipotentiaire,  le camarade Ovtchinnikov (…) qui a pris les mesures suivantes :

1) prendre toutes les céréales disponibles, y compris  » l’avance  » donnée par la direction des kolkhozes aux kolkhoziens pour l’ensemencement de la récolte future,

2) répartir les livraisons dues par chaque kolkhoze à l’Etat par foyer.

Quels ont été les résultats de ces mesures ? Quand ont commencé les réquisitions (…) les paysans se sont mis à cacher et à enterrer le blé. Maintenant, quelques mots sur les résultats chiffrés de toutes ces réquisitions. Céréales « trouvées » : 5930 quintaux. (…) Et voici quelques méthodes employées pour obtenir ces 593 tonnes

  La méthode du froid. (…) On déshabille le kolkhozien et on le met « au froid « , tout nu, dans un hangar. Souvent, on mettait les kolkhoziens « au froid » par brigades entières.

  La méthode du chaud. On arrose les pieds et les rebords des jupes des kolkhoziennes de kérosène et on y mettait le feu. Puis on l’éteignait. ….

  Dans le kolkhoze Napolovski, un certain Plotkine, plénipotentiaire du Comité de district, forçait les kolkhoziens interrogés à s’allonger sur un poêle chauffé à blanc, puis il les « déchauffait  » en les enfermant nus dans un hangar. (…)

  Dans le kolkhoze Lebiajenski, on alignait les kolkhoziens le long d’un mur et on simulait une exécution. (…) Je pourrais multiplier à l’infini ce genre d’exemples. Ce ne sont pas des « abus » , non, c’est la « méthode « courante de collecte du blé. (…)

S’il vous semble que ma lettre est digne de retenir l’attention du Comité central, envoyez donc ici de véritables communistes qui auront le courage de démasquer tous ceux qui ont porté dans ce district un coup mortel à la construction kolkhozienne. (…) Vous êtes notre seul espoir « 

Mikhaïl Cholokhov, lettre à Staline, 4 avril 1933 (Archives présidentielles, fonds 45 ; inventaire 1, dossier 827 ; f° 7-22)

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Canetti sur l’autodestruction

Cette citation de Canetti renvoie à des situations analogues signalées par Ortega y Gasset et par Cholokhov (voir réflexion attachée).

« Le prophète avait maintenant communiqué le dernier ordre. L’exécution en signifierait les derniers préparatifs pour les Xhosas, après quoi ils seraient dignes de recevoir l’aide d’une armée d’esprits. Ils devaient ne plus laisser en vie une seule bête de leurs troupeaux, et détruire tout le blé de leurs greniers. La perspective d’un avenir magnifique attendait ceux qui obéiraient. Au jour fixé il surgirait de la terre des troupeaux avec des milliers et des milliers de têtes, plus beaux que ceux qu’il avait fallu abattre, et les pâturages en seraient couverts à perte de vue. D’immenses champs de millet mûr et prêt à être consommé sortiraient du sol en un clin d’œil. Ce jour-là, les antiques héros de la tribu, les Grands et les Sages du passé, ressusciteraient et prendraient part aux joies des croyants. Souci et maladie disparaîtraient en même temps que les infirmités de l’âge, jeunesse et beauté seraient partagés par les morts ressuscités et les vivants affaiblis. Mais terrible serait le sort de ceux qui s’opposeraient à la volonté des esprits….. » (p.206)

« Le jour si longtemps attendu était enfin arrivé. Les Xhosas avaient veillé toute la nuit au comble de l’excitation. Ils s’attendaient à voir se lever deux soleils rouge sang sur les collines de l’est ; c’est alors que le ciel s’écroulerait fracassant leurs ennemis. A demi morts de faim ils passèrent la nuit dans une joie sauvage. Enfin, le soleil se leva comme d’habitude, un seul soleil, et leur cœur les abandonna. Ils ne perdirent pas espoir tout de suite ; peut-être avait-on voulu parler du midi de ce jour, quand le soleil serait au zénith ; et comme à midi rien ne se passait, ils mirent leur espoir dans le coucher du soleil. Mais le soleil se coucha, tout était fini. » (p.207)

« L’année 1857 vit la population de la partie britannique du pays xhosa passer de 105 mille à 37 mille âmes : il en avait périt 68 mille. » (p.208)

Source : Elias Canetti, Masse et puissance, Gallimard 2004. Pages 206, 207 et 208.

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