Nancy sur l’antisémitisme de Heidegger

« le motif antisémite s’inscrit de manière très nette au sein de ce dispositif : le peuple juif appartient de manière essentielle au processus de dévastation du monde. »

20140430_132730Après la dénonciation des accointances de Heidegger eut avec les nazis, la polémique à son sujet a rebondi avec la publication, plus récente, de ses Cahiers Noirs (de 1931 à 1941) révélant au grand jour son antisémitisme. Les nombreuses tentatives faites pour le dédouaner ne sont, selon Jean-Luc Nancy, que des refus de lecture, des ruses d’interprétation, des dénégations ou de l’aveuglement. Son analyse des Cahiers montre que Heidegger considérait le type juif comme responsable de la décadence de l’Occident, et son exclusion nécessaire pour un nouveau recommencement.

Voir aussi Arendt sur Eichman et la banalité du mal ; De Swann sur Arendt et la banalité du mal  ; Klemperer sur la langue nazie


« Avec les Cahiers Noirs de Heidegger, il est possible de (…) parler de l’introduction en philosophie d’une banalité — celle-là même dont témoigne le discours juridique de Vichy mais aussi bien le discours antisémite plus que largement répandu en Europe depuis le début du XXè siècle. Ce discours a produit des effets d’adhésion quasiment mécanique sur la majorité de tous ceux que ne préservait aucune pensée capable de critiquer les grossièretés historiques, anthropologiques, philosophiques et fantasmatiques dont ce discours est rempli. » (p.13)

« Je n’ai pas ici à m’interroger sur cette nécessité du déclin (…) indispensable à la survenu d’un autre commencement (…) c’est une question très importante et très ample dans la pensée de Heidegger de cette époque (…). Dans le cadre de cette étude il suffit de constater que le motif antisémite s’inscrit de manière très nette au sein de ce dispositif : le peuple juif appartient de manière essentielle au processus de dévastation du monde. Il en est l’agent le mieux identifiable par le fait même qu’il représente une figure, une forme ou un type (…) — la figure de l’aptitude au calcul, du trafic et de l’astuce. » (p33)

« D’où Heidegger prend-il cette figure ? Tout simplement du plus banal, vulgaire, trivial et fangeux discours qui traîne depuis longtemps dans l’Europe et qui s’est doté depuis une trentaine d’années de la misérable publication des Protocoles des Sages de Sion. » (p.39)

« Le sort qu’il faut rechercher ou espérer pour le juif sans sol, sans histoire, sans peuple et sans identité autre que le calcul destructeur ne peut, de toutes façons, qu’être une forme ou une autre d’exclusion, de rejet au dehors » (p.47)

Source : Jean-Luc Nancy, Banalité de Heidegger, Galilée, 2015.

Facebooktwitterredditpinterestlinkedinmail

Boucheron et Riboulet sur attentats et oubli

« Ensuite vient le moment réellement dangereux : lorsque tout cela devient supportable »

escalierpierreLa crise de nos démocraties serait-elle une crise du langage ? Ortega y Gasset avait associé le déclin de l’Empire romain à la dégradation de la langue, et Machiavel déjà considérait que le mauvais gouvernement arrive quand on commence à prendre un mot pour un autre. Nous vivrions aujourd’hui, selon l’historien Patrick Boucheron et l’écrivain Mathieu Riboulet, une situation de ce genre. D’où l’importance d’éviter que les attentats terroristes de 2015 soient recouvert par la gangue du mauvais langage et finalement oubliés. Déconstruire les discours qui obscurcissent l’événement, retrouver l’état initial, prendre date, voilà la tâche à laquelle il faudrait s’atteler.

Voir aussi Ortega y Gasset sur la Dégradation de la langue et Klemperer sur la langue nazie.


« C’était à Paris, en janvier 2015. Comment oublier l’état où nous fûmes, l’escorte des stupéfactions qui, d’un coup, plia nos âmes ? On se regardait incrédules, effrayés, immensément tristes. Ce sont les deuils ou des peines privées qui d’ordinaire font cela, ce pli, mais lorsqu’on est des millions à le ressentir ainsi, il n’y a pas à discuter, on sait d’instinct que c’est cela l’histoire.

Ça a eu lieu. Et ce lieu est ici, juste là, si près de nous. (…) Ensuite vient le moment réellement dangereux : lorsque tout cela devient supportable. On ne choisit pas non plus ce moment. Un matin, il faut bien se rendre à l’évidence : on est passé à autre chose, de l’autre côté du pli. C’est généralement là que commence la catastrophe, qui est continuation du pire.

Il ne vaudrait mieux pas. Il vaudrait mieux prendre date. (…) On n’écrit pas pour autre chose : nommer et dater, cerner le temps, ralentir l’oubli. Tenter d’être juste, n’est-ce pas ce que requiert l’aujourd’hui ? Sans hâte, oui, mais il ne faut pas trop tarder non plus. Avec délicatesse, certainement, mais on exigera de nous un peu de véhémence. Il faudra bien trancher, décider qui il y a derrière ce nous et ceux qu’il laisse à distance. Faisons cela ensemble, si tu le veux bien – toi et moi, l’un après l’autre, lentement, pour réapprendre à poser une voix sur les choses. Commençons, on verra bien où cela nous mène. D’autres prendront alors le relais. Mais commençons, pour s’ôter du crâne cet engourdissement du désastre.  » (p7-9)

Source : Patrick Boucheron et Mathieu Riboulet, Prendre dates, Verdier 2015,

Facebooktwitterredditpinterestlinkedinmail

Ortega y Gasset sur la dégradation de la langue

« Quelles vies évacuées d’elles-mêmes, désolées, condamnées à une éternelle quotidienneté ne devine-t’on pas derrière la sécheresse de cet appareil verbal ! »

visite2La dégradation de la langue peut-elle être le symptôme de la décadence des sociétés? D’une homogénéisation qui tue la variété, appauvrit le raisonnement et étouffe l’art ? Oui, répond Ortega y Gasset — avec sa puissante rhétorique — en se référant au latin vulgaire du Bas l’Empire Romain. Cela en des termes qui font songer à la langue de notre époque de Mondialisation.

Voir aussi Ozouf sur l’insulte,  Boucheron et Riboulet sur attentats et oubli, « Klemperer sur la langue nazie », « Klemperer sur le balancier ».


« Mais le symptôme et en même temps le document le plus accablant de cette forme à la fois homogène et stupide (…) que prend la vie d’un bout à l’autre de l’empire se trouve où l’on s’y attendait le moins et où personne, que je sache, n’a encore songé à le chercher : dans le langage. Le langage (…) révèle (…) à grands cris, sans que nous le voulions, la condition la plus secrète de la société qui le parle. Dans la partie non hellénisé du peuple romain, la langue en vigueur est celle qu’on a appelée le « latin vulgaire » (…). Ce latin vulgaire n’est pas très connu (…). Mais nous en savons bien assez pour être épouvantés par deux de ses traits essentiels. Le premier est l’incroyable simplification de son organisme grammatical comparé au latin classique. La savoureuse complexité indo-européenne, que la langue des classes supérieures avait conservée, est supplantée par un parler plébéien, d’un mécanisme très facile mais aussi (…) lourdement mécanique (…), d’une grammaire bégayante et périphrastique, faite de tentatives et de circuits, comme la syntaxe des enfants. C’est en effet une langue puérile qui ne peut rendre l’arête fine du raisonnement ni les miroitements du lyrisme ; une langue sans lumière, sans chaleur, où l’âme ne peut transparaître et qu’elle ne peut pas aviver, une langue morne, tâtonnante. Les mots ressemblent à ces vieilles monnaies de cuivre crasseuses, bossuées et comme lasses d’avoir roulé par tous les bouges de la Méditerranée. Quelles vies évacuées d’elles-mêmes, désolées, condamnées à une éternelle quotidienneté ne devine-t-on pas derrière la sécheresse de cet appareil verbal !

« Le second trait qui nous atterre dans le latin vulgaire est justement son homogénéité. (…). Les linguistes (…) ne semblent pas s’être particulièrement émus du fait que l’on ait parlé la même langue dans des pays aussi différents que Carthage et la Gaule, Tingis et la Dalmatie, Hispalis et la Roumanie. (…) Nous savons, sans doute, qu’il y avait des africanismes, des hispanismes, des gallicismes dans le latin vulgaire, mais cela démontre justement que le torse même du langage restait commun à tous et identique pour tous (…). Or (…) cette unanimité ne pouvait se produire que par un aplatissement général qui réduisait l’existence à sa simple base (…). Et c’est ainsi que le latin vulgaire (…) témoigne, en une pétrification effrayante, que jadis l’histoire agonisa sous l’empire homogène de la vulgarité parce que la féconde « variété des situations » avait cessé d’être. » (p. 67-69)

Source : José Ortega y Gasset, La révolte des masses, Les belles lettres, 2011.

Facebooktwitterredditpinterestlinkedinmail

Carrère sur le hasard

Femme trijambes« …tous deux avaient reçu une balle dans la tête en présence de leur femme… »

On dit parfois que « le hasard fait bien les choses », expression rassurante, mais niant le hasard lui même: s’il faisait bien les choses, l’issue en serait connue. Donc, pas de hasard. Heureusement, cette citation d’Emmanuel Carrère rétablit le hasard dans ses droits car ici, « comme par hasard », les choses se sont plutôt mal passées… 

Une collaboration de Gaston.


« … Indifférent à la politique, Noël savait tout juste le nom du président des Etats-Unis en exercice, ignorait qu’il avait été acteur autrefois et qu’une affaire d’armes vendues à l’Iran le mettait en difficulté. Mais il se révélait incollable sur Lincoln et Kennedy, pour la raison que le premier avait été élu au Congrès en 1846, puis à la présidence en 1860, le second en 1946 et 1960 ; que leurs noms comportaient sept lettres ; que tous deux avaient reçu une balle dans la tête en présence de leur femme ; que leurs successeurs s’appelaient Johnson, qu’Andrew Johnson, celui de Lincoln, était né en 1808, Lyndon Johnson, celui de Kennedy, en 1908, et que leurs noms et prénoms réunis comportaient treize lettres ; que les meurtriers, tous deux abattus avant d’être jugés, s’appelaient John Wilkes Booth, né en 1839, et Lee Harvey Oswald, né en 1939, et que ces triples noms comportaient quinze lettres ; que Lincoln avait été assassiné au théâtre Ford et Kennedy dans une voiture Ford Lincoln ; enfin que le secrétaire de Lincoln, nommé Kennedy, avait conseillé à Lincoln de ne pas aller au théâtre, et le secrétaire de Kennedy, nommé Lincoln, pressé Kennedy de ne pas se rendre à Dallas.… » (p. 187-188)

Source : Emmanuel Carrère : « Hors d’atteinte ? », P.O.L. Éditeur 1988, Édition Folio n° 2116.

 

Facebooktwitterredditpinterestlinkedinmail

Atlan sur les professions de foi monothéistes

« Et deux siècles plus tard, Maïmonide, (…) tenta d’imposer la croyance en ses fameux treize articles de foi comme obligation religieuse. »

Mur Tacheté 4

Les religions monothéistes supposent pour l’adhérent la croyance en un certain nombre d’articles de foi, ou dogmes, sans quoi il n’est pas reconnu comme tel. En analysant le rôle des articles de foi dans le judaïsme, Henry Atlan inverse l’ordre historique couramment admis de l’émergence des trois grands monothéismes, et classe le Judaïsme à la troisième place : ce ne serait pas le premier, mais le dernier, après le Christianisme et l’Islam.

Voir aussi, Maîtres du Talmud sur les maîtres.

Une collaboration d’Alainz.


« C’est ainsi que l’acte de foi, d’abord en Europe christianisée, puis dans l’Orient islamisé, et ensuite dans les pays de missions et de conversion à l’un de ces deux monothéismes, plus ou moins forcées et souvent rivales, devint l’élément essentiel de la religion monothéiste. Celle-ci était instituée désormais autour de la croyance aux dogmes du magistère comme unique voie de salut de l’âme dans un au-delà de la mort tout aussi mystérieux.

Le rôle de la théologie et des articles de foi dans le judaïsme est beaucoup plus ambigu. Les premiers articles de foi n’y ont été énoncés qu’au Xème siècle par Saadia ben Yossef Gaon, probablement sous l’influence des environnements chrétien et musulman. Et deux siècles plus tard, Maïmonide, lui aussi, en milieu arabo-musulman, élabora une théologie juive et tenta d’imposer la croyance en ses fameux treize articles de foi comme obligation religieuse. C’est ainsi que le judaïsme comme théologie et religion date de cette époque, alors qu’il ressemblait beaucoup plus auparavant à la religion civile des Grecs et des Romains, éventuellement reprise et interprétée par les philosophes. » (p. 35 et 36)

Source : Henri Atlan, Croyances, Editions Autrement — Les grands mots,  juin 2014.

Facebooktwitterredditpinterestlinkedinmail

Camus sur le suicide

« Le ver se trouve au coeur de l’homme. C’est là qu’il faut le chercher »

arbre coeur noirDes actes terroristes qui ébranlent nos sociétés on peut dire que l’homicide est commis, mais que le suicide n’est pas omis. Inutile certes de chercher à ces actes une cause unique, il s’agit d’un phénomène complexe — d’une « complexité avec exposant ». Mais que dire de la tendance suicidaire qui l’accompagne ? Peut-on se satisfaire de la promesse d’un autre monde, paradisiaque, pour l’expliquer? Ou mieux vaut rappeler, avec Albert Camus, que si l’on désire quitter ce monde c’est que l’on s’y trouve mal. Que l’on se tue parce qu’on croit que la vie ne vaut pas la peine d’être vécue, cela relève pour ce penseur du truisme. La société n’aurait pas grand-chose à y voir, car le ver du suicide est au départ dans le cœur de l’homme. La bombe humaine est, pour ainsi dire, minée de l’intérieur. 

Voir aussi Freud sur la guerre, Le Bon sur la psychologie des foules, Freud sur les masses, Ricoeur sur la violence, Ionesco sur la vacuité, Enríquez Gómez sur l’Inquisition, De Swaan sur Arendt et la banalité du mal.


« Se tuer, dans un sens, (…), c’est avouer. C’est avouer qu’on est dépassé par la vie ou qu’on ne la comprend pas. (…). C’est seulement s’avouer que « cela ne vaut pas la peine ». Vivre naturellement n’est jamais facile. On continue à faire les gestes que l’existence commande, pour beaucoup de raisons dont la première est l’habitude. Mourir volontairement suppose que l’on a reconnu, même instinctivement, le caractère dérisoire de cette habitude, l’absence de toute raison profonde de vivre, le caractère insensé de cette agitation quotidienne et l’inutilité de la souffrance. » (p.256)

« L »absurde c’est la raison lucide qui constate ses limites » (p.283)

« Le sentiment de l’absurdité au détour de n’importe quelle rue peut frapper à la face de n’importe quel homme.  » (p.260)

« D’un gérant d’immeubles qui s’était tué, on me disait un jour qu’il avait perdu sa fille depuis cinq ans, qu’il avait beaucoup changé depuis et que cette histoire « l’avait miné ». On ne peut souhaiter de mot plus exacte. Commencer à penser, c’est commencer d’être miné. La société n’a pas grand chose à voir dans ces débuts. Le ver se trouve au coeur de l’homme. C’est là qu’il faut le chercher.(p. 256)

Source : Albert Camus, Le mythe de Sisyphe, in Oeuvres, Quarto-Gallimard, 2013.

Facebooktwitterredditpinterestlinkedinmail

Nizon sur la rêverie

« Le rêveur éveillé est un être qui anticipe la vie en rêvant. »

gaviota avilés

La rêverie. Ce voyage intérieur et solitaire, errance sans support autre que la divagation et le hasard.  Est-ce juste le propre du bon a rien, de celui qui cherche à s’évader du monde, en laissant filer le temps pour ne pas y être ? Ou, peut, au contraire, être aussi une expérience enrichissante, source de pensée, favorisant la créativité et l’ouverture ? C’est la deuxième option que défends Paul Nizon dans les citations que nous proposons ici.

Voir aussi Bachelard sur la maison, Schulz sur jeunesse et rêve, Winnicott sur la capacité d’être seul, Winnicott et sur créativité et soumission.


« Un propre à rien est un rêveur éveillé, mais le rêve éveillé n’est pas obligatoirement une mince affaire. Je pense que le caractère poétique a toujours eu à voir avec le rêve éveillé. Le rêveur éveillé est un être qui anticipe la vie en rêvant. Il reste couché sous l’arbre de la vie mais ne cherche pas à y monter avec une petite échelle, il ne l’escalade pas parce qu’il craint en grimpant, et surtout en montant dans l’arbre, non seulement de perdre de vue en un clin d’oeil ce bel arbre rond plein de mystères et de promesses, ce point de vue, cet instant, mais encore de le perdre tout à fait et pour toujours. S’il se trouvait dans l’arbre il ne pourrait en tout cas plus l’admirer.

« Le rêveur éveillé est exigeant, il ne voudrait pas se contenter de miettes, il ne voudrait pas devenir une fourmi dans cet arbre. Il ne lui est pas possible de s’emparer totalement de l’arbre. Ainsi pour lui, rester-couché-sous-l’arbre est avoir une forme de pro-jet, un avoir dans la tonalité du moi.

« Le rêve éveillé est une forme d’amour de la vie, une gravidité dont on a le pressentiment, une forme de conscience rêveuse de la vie » (p.36)

Source : Paul Nizon, Marcher à l’écriture, Actes Sud, 1991.

Facebooktwitterredditpinterestlinkedinmail

Valéry sur art et technique

 » (…) ainsi serons-nous alimentés d’images visuelles ou auditives, naissant et s’évanouissant au moindre geste, presque à un signe »

arbre coloréA la fin des années vingt, Paul Valéry se s’interrogeait sur les effets du progrès technique sur l’art. L’inévitable emprise des connaissances techniques modernes sur le substrat physique que tout art possède, l’inclinait alors à prévoir une transformation des conditions de reproduction et de transmission des oeuvres, notamment musicales, avec la possibilité d’une certaine ubiquité : on pourrait à tout moment et à tout endroit accéder à une même oeuvre. Mais sa prévision allait plus loin, puisqu’il y incluait l’image. Tout ceci, bien entendu, avant l’avènement du multimédia et du branchement réticulaire universel (BRUNI). De ces évolutions, Valéry voyait l’aspect positif : non seulement la possibilité pour chacun de choisir, sans contrainte de programmation ou autre, son moment d’accès à l’art; mais aussi la possibilité pour ceux confinés à l’enfermement de la solitude, l’infirmité ou l’âge, d’une ouverture sur le monde, d’une sortie par l’art.  Or, à voir aujourd’hui partout des gens toujours isolés dans leurs dispositifs multimédia, on se demande si les nouvelles techniques de l’information n’ont pas eu, aussi, l’effet d’enfermer ceux qui sortent. On peut de même se demander si elles ne favorisent pas le dévoiement de la culture au sens d’Hannah Arendt.

Voir aussi Besnier sur la zombification, Pascal sur le divertissement, Baudelaire sur l’ennui, Arendt sur la culture de masse.


« Sans doute ce ne seront d’abord que la reproduction et la transmission des œuvres qui se verront affectées. On saura transporter ou reconstituer en tout lieu le système de sensations, – ou plus exactement, le système d’excitations, – que dispense en un lieu quelconque un objet ou un événement quelconque. Les œuvres acquerront une sorte d’ubiquité. Leur présence immédiate ou leur restitution à toute époque obéiront à notre appel. Elles ne seront plus seulement dans elles-mêmes, mais toutes où quelqu’un sera, et quelque appareil. » (p.3)

« Comme l’eau, comme le gaz, comme le courant électrique viennent de loin dans nos demeures répondre à nos besoins moyennant un effort quasi nul, ainsi serons-nous alimentés d’images visuelles ou auditives, naissant et s’évanouissant au moindre geste, presque à un signe » (p.4).

« Nous sommes encore assez loin d’avoir apprivoisé à ce point les phénomènes visibles. La couleur et le relief sont encore assez rebelles. Un soleil qui se couche sur le Pacifique, un Titien qui est à Madrid ne viennent pas encore se peindre sur le mur de notre chambre aussi fortement et trompeusement que nous y recevons une symphonie.

« Cela se fera. Peut-être fera-t-on mieux encore, et saura-t-on nous faire voir quelque chose de ce qui est au fond de la mer. » (p.4-5)

« Il est de maussades journées ; il est des personnes fort seules, et il n’en manque point que l’âge ou l’infirmité enferment avec elles-mêmes qu’elles ne connaissent que trop. Ces vaines et tristes durées, et ces êtres voués aux bâillements et aux mornes pensées, les voici maintenant en possession d’orner ou de passionner leur vacance. » (p.5)

Source : Paul Valéry, La conquête de l’ubiquité, édition électronique :

http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/index.html

Réalisée à partir du texte Pièces sur l’art in Œuvres, tome II, Nrf, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1960, pp. 1283-1287Paru d’abord dans De la musique avant toute chose, Éditions du Tambourinaire, 1928.

Facebooktwitterredditpinterestlinkedinmail

Cervantes sobre la maledicencia

(…) deléitanme las maliciosas agudezas, y, por decir una, perderé yo, no sólo un amigo, pero cien mil vidas. »

Armure gouttièreMiguel de Cervantes, grande entre los grandes, genio de la literatura universal que España no reconoció debidamente en su época. Sufrió al contrario calumnias y acusaciones injustas que dieron con él en prisión.

¿Envidia? ¿Celos? ¿Víctima de la mentalidad inquisitorial de su época? Entre las vejaciones, la publicación de un falso Don Quijote, cuyo prefacio, además, lo tildaba de viejo manco y malhumorado, desprovisto de amigos y enojado con el mundo. El autor, o al menos, el inspirador de este prefacio sería nada menos que Lope de Vega, cuya saña contra Cervantes parecía no tener límites. He aquí lo que le escribía en una carta descomedida:

"¡Honra a Lope, potrilla, o guay de ti!, que es sol, y si se enoja, lloverá; y ese tu Don Quijote baladí de culo en culo por el mundo va vendiendo especias y azafrán romí, y, al fin, en muladares parará."

En su última novela, Cervantes hace de la maledicencia un personaje, Clodio, cuya irónica auto descripción  citamos parcialmente aquí, así cómo la respuesta que le da Antonio, otro de los personajes.

Ver también Baudelaire sur l’ennui, Pascal sur le divertissement, Sartre sur la mauvaise foi, Steffens sur l’excession du monde, Giannini sobre el aburrimiento.


Clodio :
« Tengo un cierto espíritu satírico y maldiciente, una pluma veloz y una lengua libre; deléitanme las maliciosas agudezas, y, por decir una, perderé yo, no sólo un amigo, pero cien mil vidas. »

« Yo no me mataré -dijo Clodio-, porque, aunque soy murmurador y maldiciente, el gusto que recibo de decir mal, cuando lo digo bien, es tal que quiero vivir, porque quiero decir mal ».

Antonio :
« La lengua maldiciente es como espada de dos filos, que corta hasta los huesos, o como rayo del cielo, que sin romper la vaina, rompe y desmenuza el acero que cubre; y, aunque las conversaciones y entretenimientos se hacen sabrosos con la sal de la murmuración, todavía suelen tener los dejos las más veces amargos y desabridos.

Y, como sean las palabras como piedras que se sueltan de la mano, que no se pueden revocar ni volver a la parte de donde salieron hasta que han hecho su efecto, pocas veces el arrepentirse de habellas dicho menoscaba la culpa del que las dijo… ».

Fuente : Miguel de Cervantes, Persiles y Sigismunda, edición electrónica Librodot.com, Capítulo Catorce del Primer Libro. Edición original en 1617 bajo el título « Historia de los trabajos de Persiles y Sigismunda ».

 

Facebooktwitterredditpinterestlinkedinmail

Freud sur les masses

« Dans l’obéissance à la nouvelle autorité, on a le droit de mettre hors d’activité sa « conscience morale » antérieure… »

Une collaboration  d’Albertine. 

pierres tombalesL’introduction à l’article « Le Bon sur la psychologie des foules » pose la dangereuse notion de « masse virtuelle ». Or, on peut arriver au même type de conclusion en partant de la conception Freudienne, psychanalytique, de la masse. Je m’explique. L’article « Freud sur liberté, sécurité et culture« , publié aussi par traces, rappelle que la culture est ce qui permet l’existence de la société humaine, dans la mesure où elle contrarie les pulsions primitives et destructives de l’individu. Dans les citations de ce même auteur que nous proposons ici, il apparait que la masse produit l’effet exactement contraire, à savoir celui de lever ces contraintes pour le plus grand plaisir pulsionnel de l’individu. Ainsi, si les réseaux sociaux créent des masses virtuelles, permanentes et parfois gigantesques, alors quid de l’avenir de notre civilisation ?

Voir aussi Freud sur liberté, sécurité et culture , Freud sur la guerreLen Bon sur la psychologie des foules , Ortega y Gasset sur l’autodestruction, Canetti sur l’autodestruction.


« La masse fait sur l’individu une impression de puissance illimitée et de danger invincible. Elle est pour un instant mise à la place de l’ensemble de la société humaine, qui est porteuse d’autorité, dont on a redouté les punitions, pour l’amour de qui on s’est imposé tant d’inhibitions. Il est manifestement dangereux de se mettre en contradiction avec elle, et l’on est en sécurité lorsqu’on suit l’exemple qui s’offre partout à la ronde, donc éventuellement même lorsqu’on « hurle avec les loups ». Dans l’obéissance à la nouvelle autorité, on a le droit de mettre hors d’activité sa « conscience morale » antérieure et par là céder à l’appât du gain de plaisir auquel on parvient à coup sûr par la suppression de ses inhibitions. Il n’est donc pas si curieux de voir l’individu dans la masse faire ou approuver des choses dont il se serait détourné dans ses conditions de vie habituelles… » (p. 23)

Source : Sigmund Freud, Psychologie des masses et analyse du moi in Oeuvres complètes, tome XVI, Presses Universitaires de France, 2003.

 

Facebooktwitterredditpinterestlinkedinmail